J.Bertholle : Scènes de travail et discours postcolonial aux Antilles françaises

Introduction : Pour une théorie postcoloniale de « l’agir communicationnel »

 

Il n’est pas outrancier d’affirmer que le séminaire du CRILLASH, du 25 avril 2013, organisé par Michel DISPAGNE,  portant sur « Espaces sociaux de travail, pratiques langagières et mises(s) en scène du travail », soulevait une question centrale à l’espace du monde du travail aux Antilles françaises. Non seulement, comme je le montrerai, elle mérite d’être posée mais elle engage, par ailleurs, l’intelligence des discours des sociétés coloniales –postcoloniales, d’expression française, des Antilles. Cette question ne se laisse pas réduire à celle plus sociologique du dialogue social et des problèmes majeurs que rencontre le lien social en cette contrée du monde, parce qu’elle veut porter l’accent sur la pratique discursive elle-même et sur les espaces discursifs et langagiers dans lesquels elle s’exerce. Rappelons, à cet effet, les travaux de Louis Félix OZIER LAFONTAINE[1], et ceux de André LUCRECE[2], en particulier celui où il envisage la question du discours sous la forme de l’échange dans Souffrance et jouissance aux Antilles[3]. Et si l’on admet aisément que la question posée concerne, indéniablement, la perception du droit du travail en ces sociétés postcoloniales on conviendra aussi qu’elle interroge néanmoins les pratiques langagières à travers lesquelles cette perception s’exerce et se négocie sur les scènes de travail. En bref elle mérite d’être envisagée aussi du point de vue  de la pragmatique linguistique et nul doute que ce point de vue lui apportera une intelligibilité nouvelle.

Mais pour en prendre toute la mesure il suffit de la resituer dans le contexte des conflits sociaux qui bouleversent de manière récurrente les scènes de travail, qui dramatisent le dialogue social, aux Antilles. Pierre AUVERGNON en donne une remarquable synthèse dans son article « Conflictualité et dialogue social à la Martinique » paru dans la revue Travail et emploi n° 98, avril 2004. S’appuyant sur un conflit syndical hors norme, le conflit Toyota qui, du 26 mai au 15 novembre 1999, opposera la direction de l’entreprise (CCIE) aux syndicats avec une implication croissante de l’ensemble du monde du travail de la Martinique dans un climat de tension sociale et de violence, Pierre AUVERGNON développe une analyse socio – historique de la relation bloquée du dialogue social au sein de l’entreprise. L’intervention d’instance de médiation et de la Direction de l’inspection du travail confirme l’idée que ce qui était en jeu dans ce conflit résidait dans la relation des pratiques langagières aux scènes sociales de travail et bien évidemment à la mise en scène du travail. Je distinguerai, ici, les notions d’« espaces sociaux de travail » et de « mise en scène du travail » dans la mesure où la première caractérise l’espace interne et externe du dialogue social des entreprises tandis  que la seconde concerne les processus cognitifs de « mise en sens » des enjeux de la production.  Les modes d’articulation de la production aux enjeux sociaux où à leur représentation renvoient, selon moi, aux « espaces sociaux »[4] liés à la conception de Jürgen HABERMAS de la « sphère publique », tandis que la « mise en scène du travail » indique les processus de « mise en sens du sens »[5] du travail, pour la conscience des intéressés, de ces enjeux sociaux à l’intérieur de l’entreprise. Deux dimensions qui sont pensées dans le cadre de la société postcoloniale telle qu’elle peut être décrite dans les Antilles Françaises.

L’hebdomadaire Antilla consacrera plusieurs numéros à cette question de la conflictualité du travail en Martinique, rappelant à cet effet les appels convergents au dialogue social du premier ministre Lionel Jospin et du Président de la République Jacques Chirac lors de leurs passage, en 1999, en Martinique[6]. Ces conflits concernent l’ensemble de la structure économique : la production agricole, la banane, le transport aérien, le secteur bancaire, le commerce, le secteur automobile, l’artisanat, le tourisme en particulier l’hôtellerie, le Club Méditerranée, l’information (France Antilles), la mairie de la ville de Sainte Marie. Les établissements d’enseignement culturels et artistiques sont loin d’être épargnés par les conflits récurrents, il manifestent en revanche la même conflictualité et une incapacité chronique à trouver des solutions durables.

Il est important de souligner le caractère global, et structurel de cette conflictualité puisqu’elle concerne l’ensemble des secteurs du travail. Chaque conflit impliquant la totalité de la représentation syndicale. On peut penser que se trouve en jeu la catégorie de la représentation de l’ensemble de la production économique dans sa finalité sociale. Selon Jacques BERTHOLLE[7] : pour l’année 1994, on recense, près de 24631 jours de grève, pour 55 établissements, dont les effectifs totaux sont de 3622 et les effectifs grévistes : 2901. Si ces tendances concernent l’ensemble des DOM (88 conflits) elles se singularisent en Martinique (55 conflits). Ces grèves, de forte intensité émotionnelle, sont longues, se traduisent par le blocage du siège de l’entreprise et l’intervention progressive de la presque totalité du monde du travail. Les caractéristiques signalées relèvent donc directement d’un usage de l’espace social du travail clairement exprimé par l’usage des médias et l’interpellation de l’opinion publique. Les conflits sont ou deviennent un langage social à l’adresse du social et leur mise en scène, ou en sens, se fait à travers une politique communicationnelle fortement bipolarisée. Le déclenchement d’une grève et son évolution se donne donc dans des pratiques communicationnelles, dans une symbolisation du social et dans l’usage de la langue créole. On voit ainsi comment l’activité syndicale ne se comprend qu’à travers des grammaires culturelles du travail en lesquelles toute une société revendique par son droit au travail une identité politique. De même que l’on découvre, ce faisant, comment la représentativité sociale se déroule en premier lieu dans la pratique syndicale qui comporte une dimension communicationnelle primordiale. On peut donc raisonnablement penser que l’intelligence de ces pratiques permettra de mieux comprendre le discours postcolonial aux Antilles françaises. Et permettra, certainement, de mieux inscrire la défense du droit au travail dans sa portée sociale, culturelle, historique et langagière. Dès lors l’intervention des représentants politiques dans les négociations ne traduit nullement un déficit de dialogue social mais se trouve nécessitée par le point de vue de la globalité conflictuelle du social. Ces conflits impliquant de fait non seulement la réglementation en vigueur mais aussi l’ensemble des pôles de décision. Comme si ces diverses luttes syndicales n’étaient, en fait, qu’une forme de décolonisation, une revendication démocratique.

  Directeur Départemental du travail et de la Formation Professionnelle (1991 – 1999), Jacques BERTHOLLE devait lui aussi vivre un conflit avec son administration de tutelle où l’on peut lire à nouveau la question posée de la relation de l’encadrement administratif et juridique du code de travail à la réalité de la division sociale, qu’elle soit pensée en termes de classes sociales ou de groupes sociaux. C’est dans la partie qu’il consacre à Identité/identification où il examine les formes de l’échange de biens, de femmes, de paroles, qu’André LUCRECE en vient à consacrer un développement à l’affaire Jacques BERTHOLLE : « Un exemple me paraît significatif de l’absence de dialogue avec les autorités françaises. Dans le contexte particulier du très dur conflit social des ouvriers agricoles de la banane qui a conduit la Martinique à connaître une grève générale en janvier 1999, le directeur départemental du travail, de l’emploi et de la formation professionnelle, Jacques BERTHOLLE, est appelé à Paris, dessaisi de sa fonction et menacé de mutation[8]. »

 

L’hypothèse qui guidera ce travail reposera sur l’intelligence des usages des espaces langagiers dans la question du dialogue social et visera à montrer l’importance déterminante des pragmatiques linguistiques et langagières dans les sociétés post esclavagistes, post coloniales.

Que la question du langage fut au cœur de la pratique de l’esclavage et l’on peut dire de la production post esclavagiste c’est ce dont témoignent ces textes institutionnels : le code noir de COLBERT (1685)[9], La Proclamation du consul Bonaparte aux Habitants de Saint Domingue, en février 1802 en créole et en français le règlement du 20 vendémiaire an IX décrété par TOUSSAINT LOUVERTURE, et la circulaire de Louis Thomas Husson aux cultivateurs esclaves de la Martinique du 31 mars 1848. Règlement et circulaire visant à préparer la population servile contre les effets jugés  pervers de l’abolition de l’esclavage. Tous ces textes visaient, entre autres objectifs, à assurer le maintien de l’esclave ou de l’ex esclave sur la plantation dans la société d’habitation, à réglementer l’impossible, à codifier l’incodifiable et  la mobilité sociale (l’affranchissement), à combattre « le droit de fuite » (le marronnage). Si le premier apparaît comme un code paradoxal du travail esclavagiste, les trois autres concernent la situation post esclavagiste et coloniale dans le cadre de la République française. Ils  reconnaissent à leur manière la nécessité de la pratique langagière dans la gestion des objectifs économiques de l’entreprise puisqu’ils reconnaissent la situation diglossique du monde du travail esclavagiste en proposant la traduction créole, fût elle idéologique et contestable, d’un texte institutionnel français. Tous ces textes montrent comment ces espaces « sociaux » sont déjà codifiés et réglementés par des pratiques langagières, comment ils sont travaillés par les contradictions juridiques et comment les espaces de travail qui en résultent se retrouvent marqués par une instabilité, une inconsistance constitutives. Nous sommes redevables aux travaux de Laurent DUBOIS[10], Rebecca J. SCOTT[11], Jean HEBRARD, Myriam COTTIAS[12] pour l’éclairage décisif qu’ils nous apportent sur l’analyse des scènes sociales de travail esclavagistes ou post esclavagistes en lesquelles se trouvent posées les questions de leur contradiction, de leur consistance, voire de leur confusion. Autrement dit ces scènes se définissent par, et vivent, des pratiques langagières qui tentent de les constituer. Il m’apparaît essentiel de comprendre cette structure singulière du discours juridique, administratif et social car c’est elle qui donnera aux peuples qui se constitueront dans ces régions une allure de Peuples Phoniques, j’entends par ces mots des Peuples historiquement constitués par des pratiques langagières du droit.

 

Trois dimensions caractérisent, cependant,  ces scènes et scénarios langagiers: ils apparaissent comme des tragédies de « l’énigme de l’énonciation », au sens de Jacques LACAN[13], c’est-à-dire « une énonciation telle qu’on n’en trouve pas l’énoncé », comme des mises en scènes du passage, du cri à la parole, à une parole commune ; ils se trouvent liées à une structure mobile du continent de la migration, « continent du droit de fuite » selon Yann MOULIER - BOUTANG De l’esclavage au salariat, économie historique du salariat bridé[14].  Mobilité qui trouvera à s’exprimer, dans l’économie de périphérie de ces îles à sucre progressivement liée à la mondialisation de celle-ci et à l’émergence de territoires discursifs historiques et sociaux. On mesure donc la complexité de la structure énonciative de la scène de travail. Ces deux dimensions s’inscrivent  enfin, dans le contexte de l’Age moderne, contexte qui déterminera l’obligation du droit et l’allure contradictoire de l’écriture des revendications de liberté qui ne cesseront de  travailler les discours de ces communautés. Dimension scripturaire, des revendications, en laquelle je perçois la forme de cet « espace public » postcolonial.

 

La contradiction langagière qui détermine ces discours peut se formuler ainsi : trouver dans et contre « l’énigme de l’énonciation », la solution au problème de la consistance du social des sociétés postcoloniales qui résultèrent de  la société de plantation que l’esclavage et la traite négrière mirent en place en Caraïbe. Dire « consistance sociale », à l’instar des historiens que je viens de citer,  revient à formuler en termes sociologiques le problème de l’actualisation des droits de l’homme dans ces sociétés postcoloniales. Et l’on peut s’interroger sur le fait de savoir si dans ces sociétés il s’agit simplement d’actualisation des idéaux de la révolution française, s’il ne convient pas mieux de dire qu’il s’agit plutôt de la découverte simultanée de ces droits, en Europe et en Caraïbe, dans un contexte qui leur conférait une radicalité insoupçonnée pour les révolutionnaires français. Et cela dans l’exacte mesure où l’abolition de l’esclavage se trouvait au cœur  de la revendication, de la révolution, des droits humains. Tel se trouve être le principal enjeu de la pratique langagière dans ces situations postcoloniales de travail. J’appelle énigme de l’énonciation le problème que rencontre une énonciation en porte à faux sur ses énoncés, une énonciation qui doit constituer par elle même et en elle même ses propres énoncés et les conditions de sa compréhension. Ou, si l’on préfère, une énonciation de revendications légitimes qui ne trouve pas dans les langages et les pratiques juridiques et administratifs en vigueur sa forme d’expression appropriée. En ce sens l’interrogation des pratiques langagières met en évidence leur dimension constitutive de ces mêmes scènes d’énonciation comme des scènes sociales et des espaces de travail. Mais dire cela ne suffit puisque cette contradiction s’est aussi donnée dans les conflits linguistiques générés par des contacts de langues, dans l’apparition de nouveaux langages et d’une langue nouvelle, le créole, qui doit assumer de porter en elle-même une solution à cette énigme  de l’énonciation face à la langue française qui n’a de cesse de la (cette énigme) faire renaître. Ce qui ne saurait entièrement surprendre lorsque l’on garde en mémoire l’entrelacement de la constitution de la langue avec la montée de l’apparition des Etats. On aura compris que j’évoque ici la diglossie et les tensions diglossiques qui ne cessent de déterminer la pratique de la compréhension et de l’échange dans l’acte de travail. Comme si la même scène de travail d’une entreprise postcoloniale caribéenne se trouvait sinon divisée et entravée par la contradiction indiquée précédemment mais, en fait, produite par  une mouvance de langues différentes, d’espaces langagiers distincts, de pragmatiques distinctes,  comme une manière de topologie de la communication. Ce qui signifie que le dialogue social dans l’entreprise se construit simultanément dans plusieurs espaces  de discours, dans plusieurs univers de discours, chacune des interventions énonciatives introduisant dans un espace d’usages particuliers de la légitimation des revendications et relativise  ainsi l’unité de la scène de travail, en tout cas sa perception. Autrement dit le conflit syndical et social doit construire la scène de représentation et de négociations où il doit lui-même s’exercer  dans le propre temps de ses revendications, accomplissant simultanément deux tâches : formuler une revendication légitime et constituer l’espace langagier de l’exercice de cette revendication. A mes yeux la question n’est donc pas celle de la prégnance du mal être de l’antillais dans la relation patronat / syndicat, ou celle de la dimension pathologique du rapport employeur /employé, considérés comme autant de formes de l’aliénation globale de cette société, de la déviance sociale. Ces analyses, indépendamment de leur validité sectorielle, sont en fait des manières commodes d’éviter les vraies questions que rencontre la réglementation juridique de la scène de travail aux Antilles. En revanche j’accepte de reconnaître ici toute la légitimité des demandes, toute la légitimité des réponses des interlocuteurs du dialogue du travail et je me demande ce que l’on gagnerait à procéder de la sorte au lieu de les stigmatiser comme déficientes en regard des possibles. Procéder de la sorte revient à comprendre l’idée d’une médiation plurielle et à envisager une nouvelle approche du droit du travail en regard des scènes de son exercice presqu’en écho à l’action inaugurée par Toussaint Louverture. Cela revient de même à considérer autrement le dialogue à l’intérieur de l’entreprise, non simplement comme un échange d’entendement à entendement dans un cadre rigide, mais  plutôt comme un processus qui évolue de lieu de sens en lieu  de sens d’où le terme de « topologie » évoqué précédemment. Les scènes de travail en contexte postcolonial se trouvent ainsi investies de fonctions nouvelles puisqu’elles deviennent alors des espaces de subjectivation et d’identification, des espaces de légitimations à préserver  et à défendre parce que ce sont des espaces de constitution de langages  communs, de représentation culturelles communes et, ce faisant, de lien social. Une telle situation se laisse formuler en termes de « grammaire culturelle », c’est-à-dire de règles communicationnelles fondées sur des reconnaissances communes. A cet égard leur analyse contribue à éclairer la problématique générale de l’intervention linguistique performative en contexte d’entreprises économiques. Ces scènes de travail, non plus forcées ou bridées, mais codifiées juridiquement seront de fait les nouveaux supports des analyses anthropologiques développées sur les relations entre espace de travail, identité, et discours en milieu postcolonial.

Une telle situation de l’acte de travail apparaît, à l’évidence, problématique puisque les pratiques langagières ne servent pas simplement à la décrire ou à l’acter, mais à la rendre possible. Ce qui fait que les structures d’énonciations de la pratique du travail à l’intérieur de l’entreprise en situation postcoloniale deviennent déterminantes. Comme si la possibilité du dialogue productif à l’intérieur de ces entreprises devenait elle-même un enjeu économique et social. Ce qui revient à se demander comment les discours des différents interlocuteurs à l’intérieur de l’entreprise postcoloniale sont entendus, comment la question du langage habite la possibilité du lien social dans les entreprises. Il faut préciser, cependant, le caractère singulier de la situation aux Antilles françaises puisque nous avons ici un régime social que je qualifierais de colonial – postcolonial, dans la mesure où une voie inédite de décolonisation s’y trouve expérimentée à la demande des représentants politiques (1946) de ces populations : l’assimilation aux institutions françaises. On peut penser que perdure sous cette forme une certaine « colonialité » du pouvoir dans le cadre d’une pratique républicaine du discours mais que des revendications de statut, au sens fort du terme, continuent ainsi à s’exprimer[15]. La structure des discours de revendications politiques et syndicales comporte ce trait distinctif qui leur donne une allure particulière. Une décolonisation, disais-je, qui s’apparente à une « colonisation réussie » selon le mot d’Edouard GLISSANT, et qui nous invite à reconsidérer la pratique du discours sur les scènes sociales du travail. Jusqu’où cette situation détermine-t-elle une anormalité des pratiques discursives ? Dans quelle mesure les revendications du droit au travail  contribuent-elles à construire une évolution de cette situation ? L’hypothèse postulée ici vise à montrer en quelle façon la pratique discursive des scènes langagières possède une fonction de consistance sociale.

            J’examinerai, à cette fin, l’analyse du discours en scène de la prétendue « colonisation réussie », ou dans une perspective,  à mes yeux, plus évidente, de la « décolonisation improbable » et je montrerai en quoi cette scène discursive est travaillée de l’intérieur par l’existence d’un « projet de vie » largement construit dans les campagnes, et comment ce projet de vie s’est exprimé sur des scènes de travail. Ce qui me conduira plus largement à dégager l’idée que la pratique discursive sur les scènes de travail, dans l’exacte mesure où elle s’ouvre à la topologie discursive et culturelle, est au principe de l’institution du social et du même mouvement des jeux de langage qu’elle utilise. Il s’agit alors de comprendre comment en Caraïbe s’est construit un projet non de « démocratie radicale »[16] mais de mise en exigence d’innovation démocratique. L’interrogation de la pratique discursive de Jacques BERTHOLLE me permettra à la fois de vérifier la portée de l’hypothèse et à la fois de mettre en évidence une action déterminante dans le cadre de la conflictualité du travail en Martinique. Une thèse qui ne cache pas une ambition inspirée de l’œuvre  de Ludwig WITTGENSTEIN[17], d’explorer la relation entre formes de vie, scènes sociales de travail et jeux de langage, afin de dégager la théorie postcoloniale alternative, en Caraïbe, de « l’agir communicationnel » de Jürgen HABERMAS[18].

 

I L’Impensé d’une somptueuse hypothèse : « la virtualité non réalisable » du discours

 

 Examinons plus avant l’approche de l’anormalité non pathologique, du discours sur la scène de travail postcoloniale, qui commande la plus grande partie de l’analyse des conflits sociaux. Elle consiste à considérer cette dimension d’anormalité apparente comme le trait dominant de ces conflits. La thèse de « la virtualité non réalisable » en est le meilleur exemple elle se trouve postulée par Edouard GLISSANT précisément dans son ouvrage Le discours antillais.

 L’une des premières œuvres des écrivains de la Caraïbe à reconnaître la primauté des faits de langage dans les sociétés postcoloniales et à les étudier comme telles est sans conteste Le discours Antillais[19] d’Edouard GLISSANT. Et son mérite ne réside pas seulement dans cette ouverture de la recherche sur le discours postcolonial en Caraïbe, il réside en premier lieu dans le souci qu’il manifeste de l’étudier  à partir d’une révolution théorique en deux volets : écarter les prétendues évidences et les catégories importées pour amasser en revanche les faits sur lesquels la pensée bute en opacité,  et resituer ces faits dans leur entour afin de mesurer et comprendre leur structure d’écarts en regard de leur environnement. Il met en place, ce faisant, l’écosystème des discours. A ce niveau Edouard GLISSANT consacre le § 73 du chapitre Le délire verbal à l’examen des préalables théoriques et à l’analyse proprement dite des formes du discours comme formes du délire verbal à partir d’une conception de la relation aux modèles, normes et critères de cette société déviante. On se tromperait, cependant, à vouloir comprendre les écarts qu’il relève comme des écarts à l’égard de normes épistémologiques ou sociales rigides et référentielles. Dans la mesure où celles-ci sont plutôt considérées par lui comme des termes de comparaison entre écosystèmes discursifs. Car c’est une chose de comprendre un fait social à partir d’une norme référentielle et c’en est une autre de le comprendre à partir d’un jeu de comparaisons interne et externe à la société, une structure comparative relationnelle. Car dans le second cas nous sortons d’une rigidité référentielle et normative, nous nous écartons d’une conception finaliste des modèles. Aussi le discours peut être pensé à partir d’une accumulation primitive de faits relationnels « subjectifs » à l’égard de leur environnement, puisque ceux-ci, comme les événements qui les instaurent, supposent chacun en leur ordre cette structure comparative. Une telle démarche s’apparente donc à une description, à ces distinctions près, de n’être ni phénoménologique, c’est-à-dire essentialiste, ni réaliste ou objective. Elle se présente comme une description que l’on peut apparenter à une description normative d’un genre nouveau puisqu’il s’agit d’une description  visant à évaluer les potentialités productives des normes, et à les juger à l’aune de leur potentialité de réalisation. Ce qui transforme la description en une topographie de virtualité de réalisation parce que c’est l’équilibre écosystémique du discours à son environnement qui fonde sa productivité. Ainsi la démarche épistémologique d’Edouard GLISSANT s’inscrit dans une perspective matérialiste puisque ces normes et modèles deviennent des puissances de production. En ce sens ce serait lui faire un mauvais procès que de lui reprocher sa conception de l’anormalité du social sous le prétexte qu’il reconnaîtrait dans son analyse une portée intemporelle aux  normes sociales. Toutes les formes discursives – littéraires, ordinaires, artistiques, politiques -  seront pensées à partir de cette méthode de description normative comparatiste et écosystémique (productive). En ce sens les normes et les discours seront d’autant plus improductifs de lien et de dynamisme social qu’ils seront en déséquilibre avec leur milieu de vie, et inversement d’autant plus productifs de lien et de dynamisme social qu’ils traduiront un équilibre vivant avec ce milieu de vie. En ce sens on peut préciser que l’absence de dynamisme social équivaut à vivre dans la « non histoire » et inversement retrouver du dynamisme social est en quelque sorte une ouverture du Temps et des histoires des milieux de vie. Mais le déséquilibre, et l’improductivité des normes créés par le fait que des normes imposées ne correspondent pas à celles engendrées par le milieu de vie, entrainent cependant des résultats erratiques. Parmi ces résultats on peut relever un régime discursif, une véritable manière d’être discursive, qu’il désigne par le terme de « délire coutumier ».

 

Répétons que ce qui importe ici n’est pas tant la statistique (le pourcentage de cas) que le repérage comparatif, lié à la thèse de l’aliénation globale de la société martiniquaise, étant entendu que cette aliénation prend, selon les couches sociales qu’elle perturbe, des formes diversifiées qui correspondent ici à la diversité (solidaire) des manifestations de délire coutumier. (…)

L’hypothèse est ici que l’agression assimilationniste et sa réussite précipitent ou intensifient la relation délirante (l’auto agression)[20].

 

On peut comprendre dès lors ce délire à partir de l’idée d’une « virtualité non réalisable » de production sociale. Si l’hypothèse est exacte ce sont les propres conditions d’énonciation du  discours antillais qui deviennent problématiques. Comment l’écriture d’Edouard GLISSANT s’exempte-t-elle de ces conditions d’énonciation ? Comment permet-elle d’échapper au délire coutumier ? La réponse se trouverait, semble-t-il, dans la méthode d’approche, dans la dimension normative de cette pratique discursive parce qu’elle permet d’éviter de transférer dans les faits coloniaux les méthodes occidentales d’approche de faits sociaux. Elle se trouverait dans une forme de poétologie, de description poétique, de dévoilement, des conditions des événements sociaux. Elle apparaît en ce sens comme une voie pour une réelle émancipation de pensée. Se fait progressivement jour l’idée que la normativité des discours comporte en elle même une efficace propre sous certaines conditions. Comme si la diction normative excédait les conditions de son énonciation. Comment doit-on analyser ces conditions normatives  des discours sur la scène de travail?

C’est dans un tel cadre que le discours colonial - postcolonial est présenté en relation directe avec les scènes de travail, avec l’analyse de la structure sociale et avec l’entour de cette activité : à savoir les modalités de la présence paysagère, c’est-à-dire les formes de la biodiversité de l’environnement habité. Le discours antillais   rencontre, immédiatement, à travers ces questions de méthode, le problème de l’énigme de cette forme sociale, j’entends la difficulté à la définir à travers les distinctions du normal et du pathologique héritées des études sociologiques occidentales parce qu’elle excède ces distinctions et les critères qui les fondent.

 

 Le discours antillais débute donc par la reconnaissance du problème de la dimension langagière de la scène de travail, dès le livre I, dans le chapitre consacré à  la dépossession où il considère la déclaration de Louis Thomas HUSSON (1848) comme « l’amorce » de la structure langagière idéologique et politique de cette scène de travail. Et conclut son analyse au livre III le discours éclaté  par son hypothèse de la virtualité non réalisable  qui apparaît comme la version structure économique de ce qu’il appellera la poétique forcée dans la dimension langagière sociale et littéraire.  Le chapitre consacré au délire verbal me paraît être au cœur de l’ensemble de l’œuvre tant par  les considérations théoriques et épistémologiques qu’on y trouve, où je découvre les fondements de sa pensée, que par son approche du discours délirant comme discours social. « Nous faisons semblant de les ignorer (les errants en proie au délire verbal) : nous ne savons pas que nous parlons le même langage qu’eux : le même impossible lancinement d’une production vraie. »[21] C’est à ce niveau que se dévoile l’intérêt indéniable de cette approche et ses inquiétantes limites.  Son intérêt parce qu’elle se trouve fondée sur la distorsion de la scène de travail et concerne la relation du discours postcolonial à la scène sociale du travail et ses limites parce qu’elle ne laisse aucune place à une autre modalité du discours.

Attardons nous sur ces deux mouvements de l’analyse d’E. GLISSANT qui encadrent, en quelque sorte, cette approche du discours antillais. En un premier mouvement il qualifie « d’amorce »  la configuration des scènes de travail et des pratiques langagières postcoloniale  que la circulaire de Louis Thomas HUSSON (Directeur provisoire de l’Intérieur pour la République française) induira. Celle-ci se donne, en effet,  pour objectif d’annoncer la bonne nouvelle de l’abolition de l’esclavage  « aux cultivateurs esclaves ». Mais son originalité réside dans son exigence de publication qui fait d’elle un discours social. Elle tient au fait qu’elle doit être affichée en langue française et en, ce qui veut se faire passer pour, une traduction en langue créole, « aux portes de la Mairie, du presbytère et des hospices… transmis à tous les propriétaires… avec invitation de les placer aux lieux les plus apparents de leur propriété, tels que l’hôpital, les bâtiments d’exploitation, la case du commandeur et leur propre demeure. » Selon Edouard GLISSANT :

 

Je ne connais pas de texte plus complet, s’agissant des modes de notre dépossession. Du point de vue économique, il analyse parfaitement le passage du travail servile au travail pseudo salarié en Martinique. Du point de vue politique, il dessine étroitement les conditions de la « libération »[22]

 

Il vaut de rappeler quelques phrases de cette circulaire :

 

 Vous demeurez esclaves jusqu’à la promulgation de la loi. Alors Monsieur le Gouverneur Rostoland m’enverra vous dire : « La liberté est arrivée, vive la République ! 

Jusqu’alors, il faut que vous travailliez d’après les prescriptions de la loi pour le bénéfice des maîtres.

Il faut prouver que vous compreniez que la liberté n’est pas le droit de vagabonder mais bien le droit de travailler pour soi-même. En France, tous les gens libres travaillent plus encore que vous qui êtes esclaves, et ils sont  bien moins heureux que vous. (…)

Soyez dociles aux ordres de vos maîtres pour montrer que vous savez qu’il n’appartient pas à tout le monde de commander…

Parce qu’ainsi tout le monde sera obligé de travailler quand tout le monde sera libre.

Adieu mes bons amis, je viendrai vous voir les uns après les autres. Quand vous voudrez manifester votre joie, criez :

Vive le Travail !

Vive le Mariage ! [23]

 

            Cette proclamation/circulaire fut affichée en forme  « bilingue », ce qui indique clairement à mes yeux deux aspects déterminants de la pratique langagière de cette scène de travail, en premier lieu la nécessité de l’affichage et en second lieu sa traduction en langue créole. Si son contenu a été largement commenté il m’importe ici de souligner la forme de l’exigence scripturaire de ce document comme inséparable de la scène de travail esclavagiste et post esclavagiste. Cette proclamation n’est pas, à mes yeux, un texte idéologique qui ne trouverait sa consistance dans l’organisation du travail que comme le cynique reflet d’une réalité de la production esclavagiste. Il témoigne de par sa forme des exigences qui le travaillent c’est-à-dire des résistances contre lesquelles il est promulgué. Il est un texte – réponse qui permet de deviner les questions sociales que les résistances posent à cette société. Aussi il faut toujours se préparer à entendre, paradoxalement, en lui les voix silencieuses de ceux contre lesquels, en fait, il est écrit, et qui le rendent aussi dangereux que pathétique.

 

            Mais c’est au niveau  du second mouvement de l’analyse, celui  qui examine la possibilité du discours de  la scène de travail, que l’hypothèse d’Edouard GLISSANT trouvera toute son audace et sa fécondité comme « virtualité non réalisable ».

 

 Il faut un effort à l’esprit le plus aventureux pour oser appliquer, dans un discours suivi, une telle notion de virtualité à l’analyse d’une société. C’est pourtant au plus dense de l’acte humain dans les rapports de production que se noue cette virtualité non réalisable[24]

 

            Elle consistera à montrer comment, « au plus dense de l’acte humain », ce discours ne peut trouver à se réaliser sur  la scène  du travail  comme un discours constructif et structurant le dialogue social. Parce que, selon son hypothèse, les rapports de production, c’est-à-dire l’organisation juridique et administrative du travail, se trouvent coupés de la structure sociale du travail dans l’exacte mesure où ils sont « dominés de l’extérieur ». C’est cette coupure dans  la relation travail/communauté qui bloque le dialogue social. Une coupure qui trouve son origine dans la domination extérieure des normes et des critères et qui intervient à deux niveaux distincts. Selon Edouard GLISSANT elle s’installe entre les « éléments sociaux culturels » auxquels l’Antillais se rapportent  et le milieu dans lequel il vit. Ce qui a pour conséquence, sur le plan du sujet, l’absence d’intériorisation de ces éléments sociaux culturels imposés, sa forclusion à son milieu, et, sur le plan collectif, la difficulté des rapports de classe à devenir signifiants pour la constitution du lien social. Mais le plus préoccupant dans une telle situation consiste dans la difficulté que rencontre le politique à y porter remède. Puisque cette situation postcoloniale  se traduit non moins dans l’impossibilité de la pratique politique à « élucider » ce qui lui apparaît comme une distorsion et à l’assumer pleinement. La contradiction langagière que je postulais, plus haut, est présentée chez Edouard GLISSANT comme une « inadéquation entre formes sociales et dynamisme social ». L’hypothèse trouve donc à se formuler clairement en ces termes :

 

 Quand dans une société, les rapports de production et d’échange (qui déterminent des rapports de classe) sont dominés par un facteur extérieur, les rapports de classes à leur tour sont obscurcis, deviennent factices quant au lien social, c’est-à-dire que la société donnée devient incapable de trouver en elle même les « motifs » de son évolution. Je veux parler d’une société où la distorsion des rapports de production et des rapports de classes n’est pas élucidée par la pratique politique[25].

 

Mais comme toute société moderne comporte comme virtualité interne la possibilité de résoudre les crises qu’elle doit affronter lorsque le débat social concerne l’évolution sociale, on devrait s’attendre à ce que ces sociétés postcoloniales, comme sociétés modernes, trouvent des solutions à leurs propres conflits. Comme ce ne peut être envisageable, si l’on considère les remarques précédentes, alors on obtient  un discours qui tourne, en quelque sorte, à vide.  Selon Edouard GLISSANT ce discours va rêver les conditions de sa propre compréhension. Il deviendra le fantasme de la solution aux problèmes de cette société. La conséquence en est l’apparition de discours « compensatoires », c’est-à-dire proche du délire, dont le meilleur exemple est celui du « délire verbal coutumier ».

 

Le délire verbal coutumier nous apparaît comme un des signes de cette non résolution critique des rapports de classes. Il est donc le signe manifeste d’une non histoire. Mais parce que cette non histoire (l’inadéquation de formes sociales et d’un dynamisme social) est notre histoire (…) le délire verbal coutumier apparaît aussi comme l’acte signifiant d’individus non déterminés par des formes globales d’individualité et souffrant de cette non détermination[26]

 

Si je peux découvrir dans « le délire verbal », le lieu où s’entrecroisent, ce que je nommais au début, l’énigme de l’énonciation et le discours des scènes de travail, je m’interroge en revanche sur la pertinence de sa caractérisation par Edouard GLISSANT. En effet dans quelle mesure peut on étendre aux discours postcoloniaux qui s’expriment sur les scènes de travail cette caractérisation de « délire verbal » ? Faut-il désespérer de l’action discursive sur la scène de travail ? Dans quelle mesure peut –on les comprendre comme un  « Discours éclaté » ? La  réponse à cette question se trouve dans la description que nous propose Edouard GLISSANT de ce fameux « délire coutumier ».  C’est à ce niveau que nous pouvons évaluer la révolution théorique qui commande ces résultats. A le suivre nous obtenons ceci :

 

Autrement dit : quand les éléments socioculturels auxquels l’individu est « intégré » (et qu’il n’intériorise pas) ne sont pas des éléments du milieu, le mélange culturel débouche sur un déséquilibre. Ce que nous résumerons de la sorte : si on peut concevoir un Martiniquais qui se choisisse français, la collectivité martiniquaise ne peut être avérée française qu’au prix d’un dérèglement dont le délire verbal coutumier peut, par exemple, être considéré comme une manifestation de «  compensation »[27].

 

 D’où la caractérisation critique de ma part de l’approche du discours antillais par le terme « d’impensé » de la virtualité non réalisable. Car enfin l’analyse du délire coutumier tient à la structuration de la scène de travail comme structure de la production discursive sous les deux volets indiqués précédemment et, cependant, il n’est jamais question de la scène conflictuelle des revendications et des conflits du travail. Le déplacement de l’intérêt est patent de la scène de travail à la scène sociale décrite comme l’organisation théâtrale de la scène socio culturelle du délire coutumier. Et l’on pourrait à juste titre se demander si cette construction ne relève pas elle-même du délire coutumier. La contradiction, considérée comme originaire, entre rapport de production et division sociale devient progressivement la contradiction entre milieu acculturé et milieu de vie. Elle s’écarte donc, ce faisant, de  l’articulation qui rend signifiante l’ensemble du processus décrit. Comprenons bien comment la thèse de la dépossession, fondée au niveau de la production des formes de vie comme dépossession de la maîtrise de la relation des rapports de production à la division sociale,  devient une rupture de la relation de l’individu à sa société les renvoyant chacun de leur côté à leur propre destin. Pourtant quelque chose se joue dans les grands conflits du travail, dans la conscience que les interlocuteurs peuvent en avoir, qui n’est jamais examinée comme telle.

 

Si l’analyse du délire verbal renvoie donc à l’anormal de la situation, et si en retour la situation permet quand même de dégager une « norme » par rapport à quoi on saisit ce dérèglement, nous avons proposé que c’est le dérèglement particulier aussi bien que l’anormal de la situation relèvent (ou dérivent) de cette virtualité non réalisable, produit de la distorsion entre rapports de production et rapports de classes[28].

 

Le discours antillais : « une grille des formes solidaires du délire coutumier »

 

Lien social par défaut ou « compensation » et « raccroc » le délire verbal social ou coutumier pourrait disparaître par une action politique qui viserait à s’assurer la maîtrise des rapports de production si  « les couches populaires s ‘appropriaient l’analyse du discours antillais.  Mais toute la question demeure de savoir comment si l’on exclut toute ouverture au dépassement de ce discours. Afin de clarifier les conditions d’une transcendance du discours il serait bon d’examiner plus avant cette forme de discours social que nous propose le discours antillais. On pourrait penser le situer entre discours élitaire et populaire, entre dé – propriation (aliénation) et ré – appropriation de l’environnement  de manière (non résolutoire), mais cela serait-il possible ? Edouard GLISSANT nous en présente l’analyse comme suit. La structure discursive du discours antillais se laisserait décrire selon les quatre fonctions suivantes : la répétition : un usage avéré de la recherche du sens de la formule ; une certaine pratique de l’évidence, et surtout la consécution d’exposé qui caractérise un discours qui ne peut être «  suivi… et qui avance par liaisons disruptives ». Elles  apparaissent comme  les fonctions « techniques » du discours. Auxquelles s’ajoutent les  conditions idéologiques des rapports de l’individu à lui-même, à l’autre, la conscience qu’il se donne de son rapport à l’autre et les appels  récurrents  aux notions d’humanisme et d’histoire. Ces analyses l’autorisent à dégager quatre formes de délire: le délire de communication, l’agression par le langage, le délire de théâtralisation, présenté comme un dérèglement verbal de la mise en contexte du discours, le délire de représentation  au sens d’un usage tendancieux de la culture parodique, le délire de persuasion,  qui n’est u fond que la rationalisation d’une inquiétude sociale. Edouard GLISSANT présente en un tableau[29] récapitulatif à deux entrées les évaluations du discours antillais. D’un côté se trouvent notés les relevés normatifs, selon lui, des formes d’expression, et de l’autre quatre dimensions du discours ou de l’acte de langage qui viennent d’être décrites. A l’intersection des normes et des fonctions les discours se trouvent évalués positivement ou négativement.  Comme on peut s’en rendre compte, le discours conflictuel de la scène de travail est symptomatiquement absent, où l’on pourrait, cependant, trouver les conditions de possibilité d’un discours sur un discours qui ne tomberait pas dans les travers décrits et permettrait leur analyse. Il ne s’agit aucunement de rejeter cette description discursive en dépit des nombreuses remarques critiques qu’elle soulève sur sa cohérence linguistique. Il s’agit plutôt d’une tentative de comprendre ses propres conditions de possibilité. Lesquelles tendent à prouver qu’un autre discours peut être énoncé. Si la question de la possibilité d’un discours sur un discours n’est pas évacuée par l’ouvrage, elle inaugure, en fait, la recherche ; elle demeure dans le cadre de la transcendance poétique. Or c’est certainement dans le cadre des conflits sur la scène de travail que l’on s’attendrait à ce qu’elle soit posée pour être cohérent avec le propos d’un discours qui envisage sa possibilité dans la relation entre les rapports de production et la scène de travail.

 

            II. Les scènes de travail comme espaces de grammaires culturelles

 

            L’approche du discours antillais  témoigne au moins d’une chose, le souci des populations afro – caraïbes de constituer des formes cognitives de discours dans leur relation à leur écosystème en terme de phénoménologie discursive. C’est ce souci, véritable exigence de survie, qui guidera leur manière d’être, de vivre et de parler, qui s’exprimera en premier lieu dans toute négociation conflictuelle mettant en péril cette écologie politique. Ces populations ont immédiatement considéré, comme leur, la tâche de mettre en place des jeux de langages à l’aide desquels en un mouvement de retour elles tentaient de sauvegarder leur propre rapport à la nature, leur forme de vie, et à eux mêmes. Ces populations furent, ainsi, lancés par l’histoire et le vécu de leur communauté à chercher à résoudre, ce que j’appelais  précédemment, « l’énigme de l’énonciation » par l’invention de formes discursives afin, ce faisant, de trouver une ou des solutions à la question de la consistance du social. Or celle-ci ne passe pas, nécessairement, par  l’invention d’une identité collective fermée. Elle peut être aussi  une consistance sociale ouverte, faisant droit à la pluralité des expressions et des récits. Telle fut, pourrait-on dire, l’invention démocratique en Caraïbes que de trouver son expression dans la constitution de règles de l’échange et de la communication que je décris comme « grammaire culturelle ». Une grammaire qui organise la scène de travail et toutes les formes de la communication et dont la plus évidente fonction est celle de déterminer la mobilité des espaces de sens. Elle peut se donner dans des formes de rituels culturels nouant le travail à la parole, jusqu’aux contes et proverbes. Autrement dit la scène de travail devenait donc l’espace en lesquels se réalisait ce dialogue incessant de leur jeune société à son environnement et à elle-même. Ce qui leur donnait une sensibilité particulière aux faits de langage et une inventivité discursive déroutante dans des jeux de langage qui s’apparentent à des jeux de langues. Je montrerai maintenant comment la thèse de l’irresponsabilité collective et de l’aliénation globale repose sur une vision superficielle des discours sociaux lorsqu’ils sont ramenés à l’idée de déviance généralisée et acceptée. Car en dépit de la révolution théorique amorcée par Edouard GLISSANT, dans ce que l’on suppose être une fondation biopolitique comparative  entravée, du social, il vaut de s’interroger sur l’inventivité déconcertante de ces communautés. Déconcertante en ce qu’elle récuse toute norme et tout modèle sociologique contraignant ou oppressif et ne s’ordonne qu’à une dimension cognitive du rapport à l’environnement.

            Si l’on interroge ces structures cognitives on découvre un espace discursif dont le trait dominant s’affirme comme mobilité, entrelacement et variation des lieux de sens. On découvre  des structures discursives nécessairement plurielles et disruptives ouvertes à l’événement. Loin d’être limité par des éclatements et des formes pathologiques de la discussion rationnelle ils apparaissent liés à des exigences de résistance à travers  une recherche inédite du commun, de Voix communes[30], plutôt que d’une identité collective contraignante. Telle se trouve être la réponse au problème du contrat social que l’inventivité démocratique a minima aux Caraïbes propose et que l’espace discursif des Voix communes traduit : produire une modalité effective du lien social sans la contrainte d’un dispositif unitaire de transmission. Discours de résistance qui s’énonce en premier lieu sur les scènes de travail et dont l’intelligence permettrait une intervention linguistique performative dans le cadre des lieux de travail. On mesure combien le discours que décrit le discours antillais est éloigné du discours de résistance dont on aurait aimé connaître les formes. Christine CHIVALLON  en décrit les résultantes comme suit :

 

La tradition se désolidarise ici des formes de transmission de l’éthos collectif. Ce qui prime ce n’est pas la permanence d’une communauté, mais la recherche d’un ordre communautaire le moins contraignant possible, apte à générer le lien social sans l’enserrer. Un tel édifice social se réalise au travers de cette démultiplication non hiérarchisée de segments communautaires qui fait que le choix est toujours possible entre différentes options collectives, qu’elles soient ou non empreintes de traditions plus ou moins « sédimentées[31].

Au cœur de l’enfermement esclavagiste et des traces qu’il a laissées se serait développée cette disposition si particulière à contrevenir à l’imposition d’une vision sociale, à éviter que le récit communautaire n’en vienne à discipliner le corps social. 

 

Une telle approche contribue à modifier l’évaluation du discours dans la mesure où ce qui était considéré comme négatif dans le modèle précédent se trouve dans ce cas  investi d’une dimension constitutive. Le « discours éclaté » devient dans cette perspective un discours démultiplié réclamant le réexamen de la « somptueuse hypothèse », c’est-à-dire la question du mode de production caribéen et celle de son articulation à la division sociale.  On assiste ici à une invention démocratique singulière dont on ne pourra prendre la mesure qu’à la condition d’y inscrire en son sein cette « disposition à contrevenir » qui mérite d’être analysée dans son expression syndicale.

 

La nouvelle scène de travail de la paysannerie : biodiversité et écolinguistique

 

La thèse que je soutiens consiste à montrer comment la nouvelle scène de travail qui se met en place dans le monde paysan est en fait le modèle véritable de l’évolution et des choix de cette société. Comme si le discours postcolonial tel qu’il s’exprime dans les conflits du travail trouvait dans cette nouvelle pratique son ressort profond, c’est-à-dire ses exigences, ses modèles conscients. Aussi les analyses et descriptions de Christine CHIVALLON sur la relation entre identité et espace me paraissent, au fond, porter sur les scènes de travail. En effet celles-ci unissent l’espace et l’activité de production mais je considère les « constituants » de cet espace comme des « usages » de forme de vie.  La maisonnée, le quartier, la commune, l’espace insulaire sont en fait des scènes de travail où l’articulation aux formes de vie devient particulièrement évidente.

 

            Si l’on considère que la question du discours postcolonial dans sa particularité antillaise repose sur la rupture des relations  des rapports de production et de la division de classes, c’est à elle qu’il faut revenir lorsqu’on perçoit les limites de cette « somptueuse hypothèse ». Il faut dès lors considérer qu’il existe bien une articulation entre ces rapports de production et la logique de la division sociale et qu’elle peut se lire lorsque l’on considère la globalité du mode de production.  Sidney W. MINTZ nous dit :

 

Même sous le régime de la Plantation, c’est-à-dire d’une agriculture de subsistance et de spéculation effectue par les esclaves, le développement d’établissements agricoles par des esclaves marrons et la survivance des communautés de cultivateurs européens sans titre dans les régions de hautes terres ont témoigné de la résistance des petits cultivateurs à leur complète absorption par la plantation. Ainsi le domaine de la plantation ou le lopin de cultures de subsistance du petit propriétaire, considérés comme l’expression d’adaptation agraires fondamentalement différentes, se sont opposés et mêlés pendant plus de quatre siècles dans la vie agraire des Caraïbes[32].

 

La conséquence, à mes yeux, de la mobilité de cette structuration productive se manifestera dans une nouvelle pratique des usages du langage qui concernera l’ensemble de l’espace discursif. Et il importe peu ici de savoir si cet espace discursif est à l’origine de la mutation productive ou si en revanche il apparaît comme la conséquence d’une nouvelle manière d’être. Tenir pour pertinent ce nouveau régime du « chacun s’unissant à tous », de Jean Jacques ROUSSEAU[33], selon le modèle du « droit à contrevenir », revient à convenir que le dialogue social se développera autrement et que l’espace discursif de la scène de travail s’apparentera à une transformation géométrique des grammaires culturelles, qu’il faut bien reconnaître comme une topologie. Selon Antoine BORY :

 

 Le plus important est que ce furent souvent les mêmes agents qui pratiquèrent cette sorte de marelle d’un système de rapport social à un autre, non pas de façon univoque de l’un à l’autre mais dans un va et vient permanent, courant, voire quotidien. Autrement dit, le producteur relevait le plus souvent de plusieurs rapports sociaux à la fois, ce qui est une autre façon de dire que l’on « n’appartenait » à aucun en particulier, de façon exclusive et durable[34].

 

En suivant BORY nous pouvons dégager les formes de la structure cognitive de la relation à l’environnement comme la nouvelle scène du travail et la constitution des grammaires culturelles. En premier lieu « l’extrême diversité » des pratiques des cultures, en second lieu « l’intégration totale » de la polyculture vivrière « sur la base de la gamme des plantes introduites au cours du temps selon des logiques différentes et en fonction de stratégies opposées », et enfin « l’utilisation judicieuse des ressources et possibilités offertes par l’environnement naturel. »Ce modèle, en tant que tel, n’est pas limité à la production rurale parce qu’il implique une organisation de formes de vie à partir desquelles les scènes de travail s’organisent comme « grammaire culturelle ».

            Nous pouvons maintenant concevoir la structure de cet espace discursif à partir de l’invention démocratique caribéenne, inséparable de l’invention de formes de vie, elles mêmes  articulées à un modèle de production rural innovant. L’important, à mes yeux, étant la constitution d’un discours social directement articulé aux scènes de travail ouvrant la voie aux traitements linguistiques des conflits. Il reste  à examiner l’organisation  discursive de cette scène de travail plus en détail et à en comprendre la provenance.

 

Où il est encore question de l’histoire : du Système Plantationnaire à l’Innovation Démocratique des  « Voix communes » en Caraïbe ?

 

La question que ce colloque aborde est en quelque sorte déjà préfigurée dans l’activité sociale et sur les scènes de travail.

 

 Dans les pays coloniaux ayant eu recours à ce type de main d’œuvre - …- les coutumes ou les lois qui réglementaient  la situation des esclaves ne sont jamais parvenues à instaurer une totale rationalité de leur exploitation. Des failles se sont introduites dans les systèmes juridiques ou administratifs, la sujétion radicale a été mise à mal par ceux là même qui avaient tenté de l’organiser. Dans les relations de pouvoir, dans les hiérarchies sociales, dans la contractualisation  plus ou moins explicite de systèmes de production se sont ouverts des espaces de négociations imprévus et pourtant efficaces qui sont venus brouiller les évidences[35].

 

Ce sont précisément ces « failles » qui me paraissent significatives de cet univers de discours au sens de l’espace sémantique des termes et des lois qu’il parcourt, et nul doute qu’elles se répercuteront dans les récits de justification de statut et de description des états de fait ou des événements que cet univers de discours autorisera.  C’est moi qui souligne la fin de cette citation remarquable en ce qu’elle étend  ce  régime de négociation du sens à l’ensemble des actes de discours de ces pays coloniaux. On peut donc raisonnablement accepter l’hypothèse d’une forme de dimension constitutive de cette pratique discursive. Les auteurs de cet articles souligne deux pôle de recherche relatifs l’un à l’identité formelle et l’autre à la pratique du droit, d’où ils viennent à souligner qu’ « Il faut, dans les deux cas, que se soient constituées des compétences aiguës dans le maniement de la parole, dans l’élaboration d’alliances et surtout, dans l’usage des écritures. » Ils en viennent ainsi à proposer une nouvelle approche et caractérisation des pratiques discursives :

 

Ce recentrage des perspectives appliquées à l’histoire « coloniale » des Amériques prend donc en compte les usages qui président à la formation puis à l’expression des identités et des  liens sociaux et ne se limite donc plus à l’étude de leur seule nature. L’approche trop strictement catégorielle, l’énumération taxinomique en définitive qui associe les conduites individuelles à des groupes réifiés (…) que nous évoquions précédemment se trouve ainsi évacuée au profit d’un retour ou d’une (re)découverte des catégories mêmes de la pratique. L’identification des individus à des groupes n’étant que le produit instable par conséquent dans le temps et parfois dans l’espace, de l’interaction sociale. C’est donc la pluralité, voire la polysémie des univers normatifs et des structure mentales qui leur sont liées, leur mise en œuvre, voire leur actualisation par les acteurs sociaux, qui est ici privilégiée et retient par là même notre attention[36].

 

La « marelle » des rapports sociaux qu’Antoine BORY décrivait trouve à ce niveau une profonde parenté en regard des pratiques discursives, et m’entraîne à postuler, à ce niveau esclavagiste, l’invention de dispositifs langagiers aptes à construire des  formes de l’échange social. Ce que Frédérique LANGUE appelle une « vision intérieure » :

 

 Une vision « intérieure », la mise en relief d’une logique des sociétés du passé montre donc que la construction des catégories sociales et les relations entre normes et comportements sont loin d’obéir au schéma sclérosé fondé en grande partie sur des déterminants économiques auxquels les théories historiques les plus audacieuses ont fait longtemps allégeance. Elles procèdent encore moins d’une prétendue « dissolution du social » qui ne vise qu’à évacuer le contexte social, voire la pluralité des contextes, et à faire fi des expériences individuelles au profit d’une approximation fonctionnaliste et déterministe fondée uniquement sur des études linguistiques[37]

 

J’appréhende ce retour à l’histoire comme un retour vers le discours social antillais et les « écosystèmes » médiatique et culturel à travers lesquels il se construit. Un forme d’archéologie du discours où l’on peut repérer le fonctionnement des critères et de symptômes culturels et idéologiques, au sens large, où il trouve ses justifications et ses finalités. Une vision intérieure, une forme nouvelle de socialité, qui construit un espace social, c’est-à-dire des scènes sociales de pratiques où la mise en scène du travail s’élargit à l’ensemble du fait social.

Encore faut-il préciser l’évolution de cette « vision intérieure » lorsqu’elle entre dans une mutation post esclavagiste et post habitationnaire comme nous y invite Jean-Pierre SAINTON dans La décolonisation improbable[38]. Considérée du point de vue de la scène de travail jusqu’où peut on évoquer l’idée d’une mutation sensible. Quelque chose s’impose, plutôt, comme une forme de continuité dans les pratiques langagières qui donnera à cette société l’allure d’une communauté coloniale – postcoloniale. C’est dire que l’espace social, proprement dit, n’est pas coupé de la mise en scène du travail dans l’entreprise, et ne se constitue que dans l’amplification de cette dernière. Les formes de l’échange sont des avatars de l’échange dans le monde du travail. Et inversement ce qui se joue dans les conflits du travail se vit et s’interprète à partir de ce corps social (n -1) c’est à dire d’un corps sans exigence de contrainte par l’unification de l’ensemble. Un corps social où l’accord ne passe pas par la contrainte d’un collectif. Mais où, cependant, la reconnaissance du droit devient par les usages qui en sont fait le ciment tacite du social.

 

            III. De  « l’espace communicationnel » aux « modes alternatifs des règlements des litiges » : un arpenteur inspiré[39].

 

Il appartiendra à Jacques BERTHOLLE, alors Directeur Départemental du Travail et de la Formation Professionnelle, de nous donner l’enseignement de cette structure discursive en nous permettant d’éclairer la structure topologique des grammaires culturelles du discours social, par sa pratique, elle-même topologique, des règlements des conflits du monde du travail. Ce faisant Jacques BERTHOLLE ne me permet pas seulement l’administration de la preuve d’une innovation démocratique des peuples antillais, il m’apporte une phénoménologie des conflits et une méthode d’action discursive pour les traiter. C’est la raison pour laquelle le remarquable travail qu’il accomplira, dans l’incompréhension et le doute des uns, les intimidations  des autres, me semble relever d’une forme d’arpentage de territoires discursifs du travail. D’où cette manière pour moi de le définir comme un « arpenteur inspiré » en référence à la détermination des lieux de discours qu’il ne cessa avec une réelle réussite de parcourir et de délimiter par le respect des réglementations en vigueur et la défense du droit au travail. Mais aussi « inspiré » parce qu’il n’eut pas de prédécesseurs et qu’il se trouva, en quelque sorte, dans l’obligation de réparer un navire en pleine mer. Dans une situation où « Par conséquent une meilleure compréhension du fonctionnement socio-historique et psychologique s’avère incontournable »[40]. Il nous invite à revenir vers le monde vécu et aux pragmatiques culturelles de la communication, ce que je décris comme « grammaires culturelles » de l’échange. La conséquence de cette invention ou, comme l’on dit maintenant, de cette innovation démocratique antillaise et Martiniquaise c’est la nécessité de reconstruire à chaque conflit le protocole de règlement de ces conflits.

            J’examinerai son inspiration démocratique et sa volonté de défendre le droit au travail comme une véritable éducation des interlocuteurs,  en conflit, à la pratique du discours sur les scènes de travail. Dans un texte portant sur les « modes alternatifs de règlement des litiges » Jacques  BERTHOLLE nous rappelle que « dans certains cas la décision imposée par la force du jugement n’est pas la meilleure manière de mettre fin aux litiges ». S’il ne conteste pas les vertus de la discussion rationnelle au sens de Jürgen HABERMAS[41], il en relativise les effets parce que selon lui « l’observation des comportements à travers le prisme des sciences sociales conduit donc normalement à une philosophie de la complexité des phénomènes humains. ». Ce qui l’entraîne à « privilégier la connaissance des hommes, l’analyse des situations, le dialogue, la recherche de solutions équilibrées. ». Par conséquent dans le milieu de vie Martiniquais il s’avère « nécessaire de replacer le litige dans son contexte économique, social historique et culturel sans oublier les traditions. ». Jacques BERTHOLLE ne se contente pas de mener à bien son rôle de médiateur et de conciliateur, il cherche à comprendre sa propre pratique et à dégager pour les médiateurs un enseignement, « un concept moderne du règlement des conflits. »  Et c’est précisément en cela qu’il nous intéresse puisqu’il remet en question une méthodologie d’approche du conflit social et que cette problématisation de la pratique discursive des litiges concerne directement la conflictualité du travail dans les DOM et en particulier en Martinique. Il entrevoit, cependant, derrière la conflictualité du monde de travail aux Antilles françaises, qui gagnerait à être comparée à celle des Etats de la Caraïbe (Haïti) et de l’Amérique Latine, celle concernant  l’ensemble de l’intelligence des formes de la violence radicale dans les sociétés contemporaines. Aussi ce qu’il rencontre n’est rien moins que la question de l’intégration sociale et des formes nouvelles de la rationalisation de cette intégration dans les sociétés postcoloniales. Il suggère clairement la nécessité d’un renouvellement des sciences sociales faisant droit à la complexité des usages discursifs.

            Ses approches et son analyse de ces conflits m’encouragent à dégager un certain nombre de points communs, dans ces conflits, que je rangerais en trois dimensions distinctes. La première qui me paraît relever des catégories du « monde vécu » des conflits en lesquelles les interlocuteurs s’expriment. La seconde concerne la méthode pratiquée par Jacques BERTHOLLE et qu’il s’efforce de systématiser dans le texte que j’évoquais précédemment. Et enfin une troisième, plus spécifiquement linguistique, où se laisse décrire la structure d’une pratique discursive sur les scènes de travail. Trois dimensions le long desquelles se configurent une forme inédite « d’agir communicationnel » si l’on accepte de reprendre la dénomination de Jürgen HABERMAS.

En ce qui concerne la catégorisation du « monde vécu » des conflits je distinguerais : la globalité sectorielle, la conscience aigue de la représentation, l’implication médiatique, droit et démocratie sur les scènes de travail, et enfin l’invention démocratique (la forme nouvelle de la référence à la catégorie de Peuple). Elles m’apparaissent comme les catégories de « l’agir communicationnel » postcolonial. En effet celle que je désigne comme globalité sectorielle est la première à s’imposer aux yeux des observateurs et renvoient au fait que chacun des conflits met en jeu l’ensemble des secteurs économiques et réclament l’intervention d’un point de vue politique. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, il ne s’agit pas d’un déficit relationnel de la part des interlocuteurs mais d’une forme structurelle de ce type de conflit. Les représentants politiques apportant le point de vue de la globalité, leur intervention est déjà programmée dans le conflit. La seconde catégorie de conscience représentationnelle caractérise l’importance de la pratique syndicale, la troisième relative à  l’implication médiatique est le levier clé de la pratique du conflit, les médias deviennent des médiums du conflit et font partie intégrante de sa gestion, renforçant, s’il en était besoin sa dimension communicationnelle. Le droit et la démocratie met en scène la relation du droit au travail et la pratique de la démocratie dans l’entreprise comme revendication de l’application des normes et règlements en vigueur. L’invention démocratique, à mes yeux, la plus importante, résume en quelque sorte les autres par le rôle qu’y jouent des processus d’identification et de subjectivation dans la constitution d’une forme commune d’espace de référence.

            En ce qui concerne la méthode alternative du règlement des litiges je m’en tiens à la présentation que nous propose Jacques BERTHOLLE dans son texte programmateur et procédural visant l’enseignement des médiateurs à partir des constats qu’il dégage de sa pratique de résolution des conflits. Il distingue cinq points déterminants. En premier lieu le choix entre les différents modes de règlements, afin de mieux ajuster celui qui conviendrait aux mieux à une situation nécessairement évolutive. Cela va, par exemple, de la convocation des interlocuteurs à une conciliation possible, jusqu’à la désignation de tiers médiateurs. En second lieu, on l’aura compris, il n’existe pas de modèle dominant et des modèles accessoires, il s’agit en permanence d’une évaluation des possibilités d’accord en fonction de la situation conflictuelle. Ce qui signifie que  cette évaluation se mènera selon des critères concernant, la spécificité, la généralité, l’importance du conflit et gardera toujours une dimension réflexive et critique quant à la possibilité de l’application du mode de règlement choisi. Mais c’est  au niveau du quatrième point que l’épreuve effective de la gestion du « malentendu » se mènera à travers une vigilance critique contre les stratégies dilatoires ou d’évitement des interlocuteurs, et  une attention soutenue aux basculements de lieux de sens en lieux de sens, c’est-à-dire de jeux de langage en jeux de langage, ce que j’appréhende comme « grammaires culturelles ». C’est reconnaître que le « rapprochement des parties » doit être préparé à travers une éthique de la responsabilité alliant connaissance théorique du droit du travail et expérience du dialogue en situation culturelle. Le cinquième résidant dans le suivi de l’accord ou dans l’établissement de l’échec.

            En décrivant patiemment cette méthode je souhaite mettre en évidence deux aspects de sa pratique effective, d’une part sa dimension performative, au sens d’AUSTIN[42], où le conflit est inséparable de sa mise en place protocolaire, et d’autre part la forme communicationnelle de l’ensemble de la scène de travail où pratique discursive et scène de travail se trouvent consubstantiellement nouées. C’est à ce niveau que la pratique linguistique et langagière s’impose clairement ; en pratiquant ainsi le droit au travail Jacques BERTHOLLE reconnaît son inscription dans une gestion des jeux de langage et des langues unissant ceux-ci aux grammaires culturelles qu’ils expriment.

 

Conclusion : L’agir transformationnel du discours postcolonial

 

            « La question demeure donc celle-ci, nous confie Claude LEFORT : pourquoi une éthique de la citoyenneté, un régime démocratique, n’ont-ils, nulle part, réussi pleinement à se constituer ? [43]» Et c’est bien à elle que nous revenons lorsque nous considérons les scènes de travail conflictuelles des pays postcoloniaux. Car, à vrai dire, il faut bien se rendre à l’évidence que quelque chose se dénoue et se noue à travers l’expérience sociale de l’application du droit dans la mise en place des scènes de travail de ces pays, Etats, ou Régions de l’Atlantique afro – caribéenne. Quelque chose qui tient à ce que faute de mieux j’appellerai avec Jürgen HABERMAS, « l’agir communicationnel ». Une modalité inédite du discours social en lequel on peut lire une manière d’assumer « l’incertitude démocratique », une manière de vivre une expérience des limites qui, pour citer à nouveau Claude. LEFORT, « rompt avec l’image du corps »[44]. On ne saurait mieux dire puisque l’image du corps qui soutient la « grammaire culturelle » innovante dont je viens d’indiquer le trait dominant comme topologie de sens repose sur une rupture d’avec l’image du corps comme « sac », comme n + 1. Mieux elle pourrait se formuler dans l’équation n – 1 puisque cette société, et les peuples qui la construisent, est ouverte. Ces peuples ne sont pas dans l’invisibilité, ils ne vivent pas du manque à l’affirmation d’eux mêmes, mais se constituent dans cette nouvelle image du corps, qui n’est pas le « corps sans organes »[45], mais bien une invention démocratique à penser.

 C’est cette esthétique postcoloniale que l’on trouvera dans les productions artistiques littéraires, picturales, scéniques et audio visuelles : la description d’un corps sans enveloppe, de corps communs.  Et c’est bien cette scène de travail comme grammaire culturelle entre forme de vie et jeux de langages, qui confère du sens à l’ensemble de ces énonciations. Ce qui m’autorise à penser que la description que fait Edouard GLISSANT des formes du délire coutumier comme discours social éclaté doit être entièrement réévaluée dans la perspective des « grammaire culturelles » créoles. Ce qui signifie que chacune des fonctions qu’il dégage doit être redéfinie. Si l’on m’accorde ce que je viens de soutenir, dans cet article, on pourra reconnaître qu’en dépit des formes les plus totalitaires de certains régimes caribéens, une aventure sociale y a vu le jour où une certaine efficacité symbolique du discours dessine les contours d’un vivre ensemble singulier. J’ai ainsi souhaité mettre en évidence comment cette efficacité s’est constituée dans l’histoire, dans une situation où la résistance à la violence du pouvoir a donné naissance, à l’interface de la biodiversité et de l’écolinguistique, à une pratique discursive démocratique par variation de lieux de sens et de langues (français, créole, ou autres). Une pratique dont l’enjeu profond demeure la légitimation du droit au travail. Au fond une efficacité symbolique qui faisant droit à « l’incertitude démocratique », se présente comme un agir transformationnel du discours et de la représentation,

L’avenir des COM est inscrit au plus vif de la gestion de la conflictualité en laquelle se configure celle des scènes de travail mondialisées. Qu’en est il de nos jours ? En 2009 la crise de la vie chère bouleversera les Collectivités d’Outre Mer et concernera à nouveau l’ensemble du monde du travail et, encore plus proche de nous, la conflictualité généralisée des instances d’enseignement et des établissements d’enseignement artistique(près de 30 ans) garde son étrange vitalité. On peut raisonnablement penser que toutes les crises à venir seront concernées par cette conflictualité, en dehors de laquelle personne ne peut se tenir. En dehors de laquelle on ne peut espérer résoudre les conflits que ces établissements engendrent. Refuser de comprendre cet « agir transformationnel du discours » comme pratique démocratique conduit à la pathologie de la décision, c’est-à-dire à un syndrome décisionnel que l’on pourrait qualifier de la décision non résolutoire. Elle conduira inévitablement, dans tous les conflits, à la pratique de « l’égocratie » et à la naissance consternante et pathétique de l’autoritarisme ou de l’humiliation. Un agir qui consiste, au fond, dans une topologie communicationnelle que l’on peut voir en acte dans la vie de tous les jours si l’on est suffisamment attentif.

 L’enseignement de Jacques BERTHOLLE est plus que jamais à l’ordre du jour : pour résoudre les conflits, de quelque espace soient-ils, il s’avère nécessaire de pratiquer le respect du droit du travail et la pratique de l’innovation démocratique à l’intérieur des entreprises économiques et des établissements artistique ou culturel. Un enseignement que l’on pourrait aussi appliquer dans bien d’autres pays pour tenter de résoudre le problème du développement économique. L « agir transformationnel » du discours est le nouveau visage d’une linguistique performative.

            Ce ne serait pas la moindre des conséquences que cette expérience postcoloniale du droit et de la pratique de la démocratie puisse contribuer à l’avancée du débat sur les figures nouvelles  de la démocratie dans le monde contemporain. Une société toujours ouverte dans la fascination de l’incertitude démocratique et le tragique de son recouvrement par des expériences totalitaires, mais où le lien social s’éprouve dans les risques de la liberté.

 

 

Alexandre Alaric

MCF, HDR, CRILLASH, UAG.

Bel Event 2014.

 

 

 

 

Références bibliographiques

 

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[1] Louis – Félix Ozier – Lafontaine,  La société vulnérable,  Gondwana Editions, Trinité, 1999.

[2] André Lucrèce, Société et modernité, Editions l’Autre mer, 1994.

[3] André Lucrèce, Souffrance er jouissance aux Antilles, Trinité – Martinique, Gondwana Editions, 2000.

[4] Jürgen Habermas, L’espace public. Archéologie de la publicité comme dimension constitutive de la société bourgeoise, Paris, Payot, 1988.

[5] A. Alaric, Pour une anthropologie logique du discours Postcolonial, du point de vue de la littérature antillaise, Paris, L’Harmattan, 2013, p.163.

[6] Richard Loyant, « dix ans de grèves en Martinique » in Antilla, 882, avril 2000.

[7] Jacques Bertholle,  Directeur de la Direction Départementale du travail et de la formation professionnelle de la Martinique (1991-1999).

[8] André Lucrèce, Souffrance et jouissance aux Antilles, Trinité – Martinique, Gondwana Editions, 2000, pp. 172/174.

[9] Louis Sala-Molins, Le Code Noir ou le calvaire de Canaan,  Paris, PUF, 2002.

[10] Laurent Dubois, Les esclaves de la République : l’histoire oubliée de la première émancipation, Paris, Calmann-Levy, 1998.

[11] Rebecca Scott & Jean Hébrard, Freedom Papers : An Atlantic Odyssey in the Age of Emancipation, Harvard University Press, 2012.

[12] Myriam Cottias, A. Stella, Esclavage et dépendances serviles, Paris, L’Harmattan, 2006.

[13] Jacques Lacan,   le séminaire, livre XXIII, Le sinthome, Paris, Seuil, 2005, p. 67.

[14] Yan Moulier – Boutang, De l’esclavage au salariat, économie historique du salariat bridé, Paris PUF 1998.

[15] Jean Pierre Sainton, La décolonisation improbable, cultures politiques et conjonctures en Guadeloupe et en Martinique (1943-1967), Editions Jasor, 2012.

[16] Yves Michaud, « Critique et espace public chez Habermas : de la démocratie éclairée à la démocratie radicale », Revue philosophique, n°2/1999., p. 211 à P. 222. Il y aurait à ajouter « à  côté de l’ « exploration de la mésentente, et de « l’inintelligence » dans la communication démocratique radicale » et « à côté d’une étude de la violence comme expression et effort pour entrer dans la communication. », une réflexion sur la conflictualité des espaces sociaux de travail en Caraïbes et en Amérique Latine.

[17] Ludwig Wittgenstein, Recherches philosophiques, Paris Gallimard, 2004.

[18] Jürgen Habermas, Théorie de l’agir communicationnel, rationalité de l’agir et rationalisation de la société,  Paris, Fayard 1987.

[19] Edouard Glissant, le discours antillais, Paris, Gallimard, 1997, pp. 58/91.

[20] Edouard Glissant, le discours antillais, Paris Gallimard, 1997, pp. 658/659.

[21] Edouard Glissant, le discours antillais, Gallimard, 1997, p. 624.

[22] Edouard Glissant, le discours antillais, Gallimard, 1997, p. 7.

[23] Circulaire Louis Husson, 31 mars 1848, cité par Edouard Glissant, le discours antillais, Gallimard, 1997, p 78/82.

[24] Edouard Glissant, le discours antillais, Paris, Gallimard, 1997, p 633.

[25] Edouard Glissant, le discours antillais, Paris, Gallimard, 1997, p 633.

[26] Edouard Glissant, le discours antillais, Paris, Gallimard, 1997, p 633.

[27] Edouard Glissant, le discours antillais, Paris, Gallimard, 1997, p 656.

[28] Edouard Glissant, le discours antillais, Paris, Gallimard, 1997, p 636.

[29] Edouard Glissant, le discours antillais, Paris, Gallimard, 1997, p 633.

[30] A. Alaric, Pour une anthropologie logique du discours postcolonial, Paris l’Harmattan, 2014. Cet ouvrage doit être lu comme la mise en place d’une théorie de « l’agir communicationnel » postcolonial en Caraïbes.

[31] C. Chivallon, La diaspora noire des Amériques, Paris, CNRS éditions, 2004, p. 231.

[32] S. W. Mintz, « Petits cultivateurs et prolétaires ruraux dans la région des Caraïbes », in Les problèmes agraires des Amériques latine, Paris, CNRS, 1967, p. 13.

[33] J.-J. Rousseau, Du Contract Social ou Principes du Droit Politique, Gallimard, 1964, Paris, p. 360.

[34] A. Bory, « crise de la société, crise de la pensée aux Antilles » in Présence africaine.

[35] Cahiers du Brésil contemporain, 2003, n°53/54.

[36] Frédérique Langue, « les identités fractales : honneur et couleur dans la société vénézuélienne du XVIII siècle », Nuevo Mundo Mundos Nuevos, BAC, 2005. (Référence électronique)

[37] Frédérique Langue, « les identités fractales : honneur et couleur dans la société vénézuélienne du XVIII siècle », Nuevo Mundo Mundos Nuevos, BAC, 2005, p.8.

[38] Jean Pierre Sainton, La décolonisation improbable, cultures politiques et conjonctures en Guadeloupe et en Martinique (1943-1967), Editions Jasor, 2012.

[39] Franz Kafka, Le Château, Paris Gallimard. Où K. l’arpenteur invité cependant par le Château n’eut pas le même succès.

[40] Jacques Bertholle, « Les conflits sociaux en Martinique, Constat, analyse et propositions » in Justice, n°51, 1999, p. 8.

[41] Jürgen Habermas, La Théorie de l’agir communicationnel, Rationalité de l’agir et rationalisation de la société, Paris Fayard. 1987.

[42] J. L. Austin, Quand dire c’est faire, Paris, Seuil, 1970.

[43] Claude Lefort,  le temps présent, Écrits 1945-2005, Paris Belin, p. 965.

[44] Claude Lefort, ibid.,  p. 742.

[45] G. Deleuze, F. Guattari, L’Anti – Œdipe, capitalisme et schizophrénie, Paris, Editions de Minuit, 1972, pp. 15/21