Amour et désir chez Freud et Lacan

Conférence de Charles Melman

Samedi 8 octobre 2011 à 17h

Lycée Notre-Dame-de-Sion/ Institut Français d'Études Anatoliennes

 

Istanbul

Turquie

Amour et désir chez Freud et Lacan
Transcription de l’intervention en français avec traduction simultanée en turc

 

Le complexe d'Œdipe comporte en lui-même ceci : c'est qu'il faudrait renoncer, que l'enfant aurait à renoncer à l'amour le plus pur, celui qu'il porte à la mère, pour pouvoir justement accéder au désir. Que cela en serait la condition. Et nous pouvons aisément vérifier que lorsque ce type de sacrifice n'opère pas, que ce soit du fait de la mère qui le refuse ou du fait de l'enfant qui ne peut y consentir, eh bien on sait du même coup que la mise en œuvre du désir, du désir sexuel, se trouve sérieusement handicapée. Remarquons que, bien sûr, à l'issue du passage par le dit complexe, le renoncement à l'amour porté à la mère, voire de l'amour porté par la mère à son enfant qui ainsi lui échappe, dès lors à cette occasion, et bien que certes à l'issue de cette opération, l'amour va subsister d'une certaine manière mais sublimé. Et nous savons tous que l'amour comporte avec lui cette dimension dûment, je dirais, expérimentée, racontée aussi bien par les romanciers que par les poètes, et pour dire combien sa sublimation, justement, venait constituer un échec à l'accomplissement du désir sexuel. Comme s'il y avait donc entre eux à la fois cette polarité essentielle et en même temps ce divorce irréductible.

Alors, au point où nous en sommes, il nous est déjà possible de faire remarquer que, à la fois amour et désir ne reposent pas sur la même instance ni sur le même lieu. L'amour, évidemment, n'est pas séparable pour nous de cette dimension, je dirais, pourquoi pas d'emblée la nommer sacrée qui l'a célèbre dans notre culture et qui, je dirais dans ce domaine privé que constitue la famille, porte sur cet être d'exception que constitue la mère, alors que l'objet pour satisfaire le désir devra être cherché en dehors, à l'extérieur, dans un champ autre, et à défaut de cette exploration de l'altérité, échec de la réalisation du désir.

Alors je dis bien la vie, la vie sexuelle, est marquée par cette crise que constitue la tentative de parvenir néanmoins, c'est là l'effort à la laquelle nous nous livrons régulièrement, à laquelle une exigence spontanée nous pousse irréductiblement, arriver à conjoindre désir et amour, voire à ne légitimer le désir qu'à la condition qu'il soit soutenu par l'amour sauf à devoir vivre l'amour dans sa dimension sublimée c'est-à-dire pure, asexuée, ou alors à être condamné à vivre le désir dans son aspect, disons, purement relationnel et détaché de la dimension amoureuse.

Je suis en train, comme vous le voyez, de façon extrêmement succincte, extrêmement rapide, de raconter, avec ces termes abstraits, ce qui me semble être l'existence la plus ordinaire de ces êtres plein de bonne volonté, animés des meilleures intentions, et qui cependant se trouvent inéluctablement et malgré eux pris dans ce genre de chiasme, de division, de séparation, et leur difficulté donc à pouvoir les accorder, ces deux dimensions, à les rendre pérennes.

Il faut dire que, à cet égard, il est vrai que dans ce dispositif, on pourrait observer que l'exigence d'une femme et l'exigence de l'homme ne se recouvrent pas intégralement et c'est même bien évidemment le problème.

En effet, l'exigence d'une femme, tout naturellement, et là encore animée des meilleures intentions, c'est d'être l'une, la seule, l'exclusive. Et le dispositif s'évoque aussitôt puisque comme on le sait, il s'agit de se faire reconnaître comme étant plus aimée que la mère de son partenaire. Donc l'exigence d'être une, la seule, l'exclusive et, en même temps, d'être l'objet du désir et donc d'arriver à faire tenir en elle à la fois cette qualité d'être une, la seule, l'exclusive, et puis en même temps celle qui est le support pour son conjoint de l'objet du désir. Et d'ailleurs, il y a dans la langue, je ne sais pas, je suppose que la langue turque s'en sert pas moins, en tous cas il est courant en français que l'on parle, lorsque les rapports du couple deviennent difficiles, que l'on parle d'infidélité. L'infidélité, c'est un terme très riche puisqu'il souligne bien par lui même que c'est la dimension de la foi qui est ici concernée, comme si l'amour pour une femme devait la constituer justement comme l'exception. Lacan comme l'écrira l'au-moins-une, celle qui échappe, qui n'est pas comme toutes les autres, elle est l'exception, elle est la seule; et donc du même coup elle se trouve à une place que certains voudront bien reconnaître comme étant celle là même de la divinité, l'au-moins-une, la seule, l'unique, l'exception, l'aimable. Permettez moi cette brève digression, ceux d'entre vous qui vous êtes intéressés à Dante, il lui arrive cette affaire expérimentale. Vous savez qu'il est l'inventeur d'une langue nouvelle. Ce n'est pas à la portée de tout le monde d'inventer la langue qui va être parlée par un peuple et alors il lui arrive un accident du travail dans cette invention. Du fait de mettre en place une langue nouvelle, il va tomber amoureux de l'au-moins-un, l'au-moins-une, de l'exception que nous supposons fondateur, fondatrice de toute langue. Alors, il va l'appeler Béatrice comme vous le savez et il va passer sa vie à l'entre-apercevoir, guère plus, car elle se dérobe évidemment, en tant qu'exception, elle se dérobe à toute saisie, et donc comme il doit simplement se réjouir, être heureux de l'apercevoir et néanmoins il va tâcher de, disons, se sustenter un peu en s'intéressant à quelques créatures intermédiaires, dit-il, en tous cas à des créatures bien incarnées, bien en chair, des femmes quoi.

Mais quand il retrouve Béatrice, au loin, elle, n'a pas l'air contente du tout qu'il la trompe ainsi avec des femmes comme ça, bien incarnées. Elle, si pure, si belle, l'exception. Qu'il ne peut atteindre évidemment. Et donc, vous voyez par ce rappel, il va de soi que bien entendu Béatrice connaîtra le sort imparable, bien évidemment, elle viendra à mourir et donc laissera le souvenir impérissable, du fait d'avoir été entre-aperçue.

Vous voyez la divinité que Dante a ainsi aperçue n'est pas celle constituée par un dieu de colère et un dieu jaloux et un dieu guerrier et un dieu qu'il faut craindre, ce qu'il a espéré inventer avec sa langue nouvelle, c'est le rapport à une divinité si aimable, si accueillante mais qui néanmoins, c'est ça qui est bizarre, voudra attendre de lui qu'il se fasse le serviteur de son culte, c'est-à-dire renonce justement à la sexualité pour n'aimer qu'elle, ne respecter qu'elle.

Et donc vous voyez cette bizarre symétrie, cette bizarre exigence, ainsi renouvelée de cet amour qui voudrait qu'on renonce pour lui justement à la sexualité et d'où évidemment le fait que le désir, son expression risquera de paraître infidèle et sera pris dans la dimension, je dirais de la tromperie potentielle et, de telle sorte comme vous le savez, mais là je rentre dans une notation qui est plus existentielle que clinique, au fond on pourrait dire que la jalousie est interne à la position féminine car, d'une certaine manière une femme, aussi aimée soit-elle, peut toujours soupçonner que le désir de celui qui l'a divinise, que son désir néanmoins doit toujours forcément, pour pouvoir s'exprimer, se porter sur quelque autre ailleurs, sur quelques personnes dûment incarnées.

Une autre remarque est peut-être, je dirais, plus désagréable, car jusque là vous semblez ne pas trop protester, mais ça viendra je pense. Une autre remarque est plus désagréable, y compris, bien sûr, à moi-même car je n'échappe pas plus que quiconque à ce type de disposition. La place, je dirais, de la dame ainsi divinisée est, comme pour Béatrice, de se tenir dans un autre espace que celui de la réalité, dans ce champ où elle est devinée, elle est entre-aperçue, Pétrarque, de la même façon, le contemporain de Dante, son amour pour Laure sera exactement le même dispositif, et Laure, il n'aura fait que l'entrevoir au fond d'une église. Dans le champ de la réalité, ce qu'il y a, c'est les femmes. Mais dès lors que celle qui est divinisée, celle qui est reçue avec tant d'amour dans le champ de la réalité, se trouve ainsi présentifiée non plus dans cet éloignement, dans cette distance, dans cet ombre, dans cette apparition transitoire mais présente en permanence dans le champ de la réalité, un phénomène bien désagréable se produit, et qui est celui de la conversion de l'amour en haine.

Avec ce curieux processus qui fait que celle qui est ainsi divinisée n'a pas à être dans le champ de la réalité, mais à se tenir à sa place, dans cet espace que Lacan appelle celui du désir.  Et de telle sorte que ceux d'entre vous qui sont concernés par l'expérience analytique ou qui s'intéressent à l'histoire de l'analyse, ça fait parti des travaux pratiques, ils peuvent expérimenter que l'amour de transfert, c'est-à-dire celui qu'on ne sait pas pourquoi, par quelle magie, on va porter sur la personne de l'analyste, le fait que cet analyste soit présent dans le champ de la réalité risque si facilement de se transformer en haine et ceux d'entre vous qui vous êtes intéressés à l'histoire du mouvement analytique, ce qui s'est passé autour de Freud, qu'est ce qu'il a récolté Freud ? Il a récolté en permanence la haine de ses élèves, leurs distensions, leurs contestations, leurs « et moi ? Et moi ? Et moi ? Pourquoi toi seulement ? », et sur l'histoire de sa fondation, il est dominé par cette haine au point de devoir se réfugier dans ce qui aurait été l'amour, lui supposé mieux inspiré, non pas d'un fils mais d'une fille, comme si il n'y avait qu'une fille pour pouvoir aimer, aimer son père sans le risque, si facile, d'un tel virage. Ce qui s'est passé autour de Lacan, et auquel il se trouve que j'ai été aussi bien le témoin que l'acteur, est absolument du même type. Si vous cherchez à chaque fois qu'elles seraient les profondes divergences théoriques qui auraient séparés ses élèves du maître, vous vous apercevez facilement, et c'est encore bien plus net avec Lacan que ces divergences théoriques, ou bien elles n'existent pas, ou bien elles sont extrêmement faibles, concernent essentiellement la ritualisation de la pratique, sa standardisation et le fait que tout manquement au standard constituerai une offense faite à Freud et avec ce paradoxe sur lequel, en passant, j'attire votre attention, si la finalité d'une cure analytique est de résoudre l'amour de transfert, c'est-à-dire de permettre au sujet de se dispenser de l'appui pris sur celui avec qui sans cesse il négocie dans le champ de ce que Lacan appelle le grand Autre, avec qui il discute, combine, calcule, contre qui il se bat, qu'il aime, qu'il déteste, etc. Eh bien, si le but de la cure est de liquider cet amour de transfert, vous remarquerez ceci, c'est que la haine rend ce transfert pérenne, indissoluble, vous ne vous détacherez jamais par la haine de celui qui est visé. L'amour, ça peut se fatiguer, s'effacer, s'oublier, on peut s'en écarter, en changer. Mais la haine? Celui que vous avez ainsi pris dans votre visée, vous ne pouvez jamais y renoncer. C'est l'une des façons inattendues de pérenniser le transfert.

Si je devais, pour ne pas être seulement descriptif, mais un peu plus précis dans ce qui organise tout ceci, je devrais vous dire que ce qui supporte ainsi, dans ce monde occidental, l'amour c'est toujours le Un : le Un, l'amour du Un, de l'Unique, du seul, de l'exclusif et du Un en tant qu'il se tient en dehors du champ de la réalité, sur quelques sommets inaccessibles ou dans quelques cavernes où l'accès n'est pas franchissable. L'amour du Un.

La cause de l'objet du désir est tout à fait différente, puisque ce qui entretient le désir, et c'est là le paradoxe de notre espèce, c'est toujours ce qui manque. Et l'un des traits essentiels de la formation de l'enfant et du jeune, c'est de voir s'il aura accès à la symbolisation de ce manque. Symbolisation parce qu'elle n'est pas toujours effective et qu'elle peut pendant longtemps fonctionner avec ce que Winnicott a isolé comme objet transitionnel, c'est-à-dire c'est l'objet avec lequel l'enfant va se satisfaire, qu'il va mettre à distance pour pouvoir ensuite le retrouver, et de nouveau le mettre à distance, et de nouveau le retrouver. Autrement dit, comme vous le voyez, une mise à distance ou en tout cas une perte qui n'est jamais tranchée, qui n'est jamais définitive. Ce qui a été perdu, je l'écarte pour entretenir mon désir mais je sais que je pourrais le faire venir, voici une étape que Freud avait déjà racontée à propos, je dirais, du jeu d'une de ses petites filles, jeu dit de la bobine, voir la petite fille qui en l'absence de sa mère jetait une bobine rattachée à une ficelle et qui, ensuite, faisait revenir la bobine au bout de sa ficelle et cela en l'absence de la mère et jusqu'à ce que la mère revienne. L'objet cause du désir, c'est l'une des particularités qui nous séparent radicalement du monde animal. On n’a jamais vu ça dans un monde animal. Il y a aujourd'hui des théories très fortes puisqu'elles se réclament d'une approche scientifique rigoureuse, qui sont les démarches comportementalistes et qui disent que finalement il n'y a pas de hiatus essentiel entre l'homme et l'animal. Il y a quand même, je dirais, celui-ci qui est majeur, c'est qu'on a jamais vu un animal fonder l'organisation de son désir d'un manque radical. Et je ne pense pas que, quelques soient les expériences que nous pourrons tenter sur lui, nous pourrons jamais le voir. Ce qui entretient le désir est donc un pur manque, et ce manque est susceptible de prendre corps avec non plus le un du signifiant mais avec ce qui ce signifiant le forme, le constitue, c'est-à-dire avec la lettre.

Je me permets cette très rapide excursion, pardonnez-moi de paraître arbitraire ou obscur pour ceux qui ne sont guère introduits à ces éléments, mais c'est pour vous témoigner qu'il y a au départ une dissociation radicale entre le un, support de l'amour, et je ne vais pas évoquer tout ce qui dans la tradition religieuse vient soutenir cet amour du un, voire même, pourquoi pas, l'amour du concept en tant que un et supposé donc dire la vérité de l'être, je pense ici bien sûr à Hegel. Et donc opposer l’amour du 1 à ce qui cause le désir, c'est-à-dire cet objet que Lacan appelle l’objet petit a, c’est-à-dire l'objet qu'il inscrit par une lettre et qui se veut sûrement le symétrique de ce que Cantor a fait avec le aleph, avec l'écriture du nombre infini, écrire la dimension de ce qui toujours manque mais sous la forme non pas d'un aleph mais d'une petite lettre, de ce petit a.

Et donc pour vous dire que nous débouchons sur une impossibilité structurale. C'est-à-dire que le 1 ne peut jamais venir faire rapport avec cet objet qui manque, objet cause du désir, avec l'objet petit a. Et c'est pour ça que Lacan aura cette formule qui paraîtra tellement soit stupéfiant, soit arbitraire, soit comique, lorsqu'il dit qu'il n' y a pas de rapport sexuel, c'est-à-dire qu'un homme et une femme ne peuvent venir inscrire leurs rapports, puisque le désir de l'une est celui de ce 1 et d'être elle même reconnue comme 1, comme une, comme exclusive, comme au-moins-un, alors que le désir de l'homme est cet objet petit a, donc un chiasme, ici radical et une impossibilité d'écriture de ce qui serait leur rapport.

Une question qui surgit aussitôt, puisque je parlais de notre culture occidentale : est-ce que cette impossibilité est un effet permanent, présent dans tous les documents sur lesquels se fonde notre culture ? En réalité, nous ne voyons aucunement, ni chez les Grecs ni les Romains, la présence d'un tel conflit. Je ne vais pas m'étendre là dessus mais ils pouvaient simplement, certes, les poètes en particulier, inventer l'amour courtois, c’est-à-dire le fait d'être éloignés de la belle courtisane dont ils chantent la beauté dès lors qu'elle vient à manquer, et leur amour pour elle. Mais c'est accessoire. Je veux dire : l'amour ne tient pas chez eux la place subjective qu'il a pour chacun d'entre nous. Il y a ce net clivage qui ne fait pas problème chez eux, et personne ne viendrait à parler d'infidélité entre le divorce entre la vie domestique à entretenir avec la femme qui est maîtresse de la maison et de cet espace ‒c'est elle qui en tient les clefs ‒ et puis la vie sexuelle qui, elle, se tient en dehors et peut concerner aussi bien la courtisane que celui que l'on appelle le giton.

Il faut donc bien concevoir que c'est avec la promotion opérée par notre religion, la promotion du 1, l'amour du 1. Il est clair que c'est avec cette promotion que sont venues se mettre en place, pour chacun d'entre nous, ces impasses dans la tentative désormais de concilier pacifiquement et agréablement l'amour et le désir et éviter ainsi leur séparation, leur divorce, leur conflit et leur insatisfaction réciproque. Une remarque encore à ce propos, c'est que l'amour est toujours duel et il se veut duel : 1+1, de telle sorte qu'ils sont à se réunir pour ne plus faire qu'un seul. Voilà bien une ambition, et que vous retrouvez dans cette pièce admirable dont l'auteur non moins admirable, Shakespeare, Othello, une pièce admirable puisque vraiment entre Othello et celle qu’il l'adore et ils s'adorent, qu'est ce qui pourrait introduire la moindre ombre entre eux ? Et puis il se trouve que dans cette pièce, il y a Iago. Et qui, à propos d'une histoire banale de mouchoir tombé à terre viendra introduire quoi ? Avec la jalousie désormais féroce d'Othello, Iago ne vient introduire rien d'autre que la ternarité, l'élément tiers. Entre ces deux là qui se croyaient tous seuls, l'un pour l'autre et donc capables de s'aimer, se désirer réciproquement, sans obstacle, eh bien, il se trouve qu'il y a un tiers, toujours, un troisième et que ce tiers, c'est immanquablement le désir. Ce que la théorie analytique, ce que Freud appellera la libido, ce que Lacan appellera le phallus.

À ce point de notre cheminement ‒ et je ne vais pas abuser de votre attention trop longtemps, il y a t-il une modalité possible de réparation de cette impasse ? Et si jamais c'était pensable, comment ? De quelle manière ? Alors, ceux qui suivent le cheminement de Lacan, depuis le départ, parce que, pour Lacan, ce qui fait le symptôme de notre humanité, ce qui fait que pour les hommes et les femmes ça ne va pas, et que ça va donc forcément contribuer au malaise de la vie sociale, dans les échanges sociaux va se trouver immanquablement la projection de ce qui ne va pas dans la vie privée, eh bien que, pour y pallier, la question est de savoir s'il est possible que homme et femme, pour tenter de lever le symptôme qui à ses yeux est spécifique à cette espèce animale si bizarre qui s'appelle l'homme, et la question de savoir si homme et femme, tout en conservant la distinction de leur position sexuée, puisque nous savons qu'actuellement toutes les tentatives culturelles sont faites pour tenter de résoudre ce symptôme qui serait une abolition des différences, qui est aussi une tentative culturelle pour répondre à ce que je suis en train d'évoquer, la tentative de Lacan est de savoir si tout en conservant leur identité sexuée, c’est-à-dire le fait pour chacun de se tenir sur ce qui définit leur position, homme et femme pourraient néanmoins s'accorder autour du même objet. Car celui qui vient définitivement manquer aussi bien à l'un qu'à l'autre, c’est-à-dire c'est l'objet petit a, mais auquel notre amour du 1 est venu en quelque sorte substituer l'unité, l'amour de l'au-moins-un et venir mettre ainsi au centre de leur rapport, une impossibilité radicale. Vous trouvez cette tentative de Lacan dans une élaboration qui risquera de paraître abstraite ou fort difficile car il ne cherchait jamais ni à plaire, ni à séduire, ni à convaincre, il laissait chacun s'en débrouiller, prendre ce qu'il voudra dans ce qu'il apportait, vous le trouvez dans cette élaboration de ce qu'il a inscrit sous la rubrique du nœud borroméen.

La question homme et femme peuvent ils se retrouver non plus dès lors dans ce chiasme, dans cette visée, dans ces exigences d'objet différent, le 1 pour l'une, l'objet petit a pour l'autre, peuvent-ils s'accorder pour reconnaître que c'est le même objet, qui originellement organise leur désir, ce qui implique une toute autre façon de penser, parce que notre façon de penser est forcément régie par le concept.

Le concept, toute notre pensée part de là. La vertu, qu'est-ce que c'est ? De la vertu, vous n'avez que le mot. Vous avez des pratiques diverses, donc vous vous dites « oui celles-là sont vertueuses, celle-ci pas tout à fait ». Mais en tout cas, immanquablement, avec ce mot, la vertu, vous allez en faire un concept en demandant quel est son être ? Quelle est sa substance ? De même que, bien entendu, vous allez poser le concept homme et chercher, ça c'est la métaphysique, quelle est sa substance, l'être de cet homme, l'ensemble des traits qui le définissent de telle sorte qu'un homme puisse se reconnaître par ces traits-là. Il saura que, assumant ces traits-là, il est vraiment un homme, il est dans l'humanité.

Il ne faut pas oublier que cette pensée se met en place à une époque, avec le totémisme, où l'homme n'avait pas d'autres exemples que l'animal et ne se reconnaissait qu'avec le clan avec lequel il appartenait.  Et surgit cette affaire merveilleuse que, non, l'homme n'est pas un animal mais… Mais, quel est son être ? C'est la force, le développement du concept et qui depuis n'a pas cessé de tourmenter les esprits. Alors il arrive, j'ai commencé par Platon tout à l'heure, que les philosophes soient amenés à ceci, c'est qu'on peut pas conclure. Le bien, qu'est-ce que c'est ? Est-ce que vous pouvez dire ce que c'est ? Une grande question, mais qui ne se pose, la recherche de l'être du bien, des traits qui vous permettraient de dire que ça, c'est bien. Cette question n'est posée je dirais, qu'avec la mise en place du concept, c'est-à-dire du concept comme 1 et, dès lors, la recherche de ce qui est son être, c'est-à-dire du 1 originel, du 1 fondateur, du 1 créateur. On y est forcement renvoyé. Donc, cette affaire introduite par Lacan amène à une difficulté considérable de la pensée et qui consiste donc à renoncer d'une certaine manière à la force, à la vigueur, à la tradition du concept, au profit de quoi ? De l'obscurantisme ? Non, sûrement pas. Au profit de ceci : c'est que tout à l'heure j'ai évoqué ce chiasme entre le savoir et la connaissance. Il y a, en chacun de nous, un savoir, ce savoir n'est pas constitué de concepts. Il est constitué d'une chaîne littérale qui s'offre à des découpages, des découpages significatifs mais qui ne s'imposent en aucun cas comme des concepts.

Je ne veux pas trop développer ce soir, avec vous, ce point qui est à l'extrême de ce qui actuellement peut se penser à partir des derniers travaux de Lacan. Je ne veux pas le faire ça serait trop audacieux de ma part mais je l'évoque pour que vous vous imaginiez ce que serait notre renoncement au caractère affiché de maîtrise des signifiants auxquels nous avons à faire. Le signifiant est systématiquement injonctif, prescriptif. C'est celui qui commande notre rapport au réel. Et du même coup, nous sommes toujours en défaut par rapport à lui. Il fonctionne aussi comme Idéal. Nous sommes toujours en défaut par rapport lui, ne serait-ce parce que nous ne parvenons pas à assurer avec lui la maîtrise du Réel. Le Réel, par définition, sera toujours ce qui lui échappe. Il y a dans le savoir qui habite chacun d'entre nous, il y a ce qui ressortit à la vérité de son existence. Et, pour ceux que la tentative amuse, je conseillerai ‒ ils n'y comprendront rien mais pourquoi pas, qu'ils lisent ce séminaire Les non dupes errent. Vous voyez, tout le long de ce travail je vous ai parlé du père originel, de l'au-moins-un, de l'exception, de l'au-moins-une, de la divinité, les noms du père que Lacan a écrit les non dupes errent. Il est normal que ce soit pris comme une plaisanterie, ça ne fait pas sérieux, ce sont ses fameux jeux de mots, eh bien je conclurai là-dessus, le pas sérieux, c'est souvent ce qu'il y a de plus sérieux. Il ne faut pas croire, ce n'est pas parce qu'on n’a pas l'air sérieux, que forcément on vient s'inscrire dans la série. Le pas sérieux, faut savoir un peu y faire attention et je vous évoque tout ceci nullement pour vous transmettre des connaissances mais pour peut-être donner à certains et certaines d'entre vous l'envie d'y aller voir. Parce que comme vous le voyez, l'enjeu n'est pas quelconque. C'est un enjeu qui est culturel, qui concerne la vie privée, qui concerne notre petite vie de tous les jours et qui, si on lui accorde pas notre attention, cet enjeu ne manque pas de nous vriller avec beaucoup de persévérance. Cette question de ces difficultés à pouvoir rendre enfin cohabitable, non conflictuel et en évitant la guerre des sexes ou encore les tentatives d'uniformisation, les exigences d'égalité ou encore de parité, tout ce qui constitue aujourd'hui notre évolution culturelle. Donc, Lacan était là-dessus. C'est ça qui le tenait. Et je dois vous dire que ceux qui l'ont vu dans les derniers moments de sa vie, il était déjà fatigué, malade, il passait tout son temps, partout dans son bureau, aux restaurants, sur les nappes du restaurant, lorsqu'il rencontrait ‒ il y a la photo de sa rencontre avec Dali en 1975 à New-York, photo qui se trouve dans le beau livre de Nami Mazer sur Lacan, vous savez cette photo avec Dali, ils s'étaient rencontrés par hasard au restaurant et étaient de vieux amis. Et alors, Lacan lui a dessiné son nœud borroméen et lui a dit : qu'est-ce que tu en penses ? Eh bien, aussi génial fut-il, Dali n'en a rien pensé du tout, ça ne lui a rien dit. Mais il était touchant de voir Lacan, jusqu'aux tout derniers moments de son existence, lutter là-dessus, sur ses problèmes et sur ses écritures.

J’espère que je ne vous ai pas trop fatigué avec tout ça. J’espère que je ne vous ai pas paru trop abstrait et je vous remercie pour votre attention.

Auditeur :

 Votre NEP ‒ Nouvelle Économie Psychique, que fait-elle de cet amour du Un? Il n’y en a plus ? Ou alors elle est menacée ? Qu’est ce qu’on devient avec ça ?

Charles Melman :

Merci pour cette question. C’est vrai que nos jeunes aujourd’hui ont tendance justement  à récuser toutes références au 1, et à récuser l’autorité du concept, à récuser l’autorité du signifiant et il y a ce phénomène auquel nous prêtons peut-être pas assez d’attention, c’est que leur écriture en SMS inaugure un mode de communication qui récuse tout découpage par le 1. Et il serait amusant de voir quelles conséquences ça a pour eux. Il y en a déjà une qui est peut-être trop évidente, c’est qu’ils récusent l’autorité et ils récusent le savoir.

Auditeur :

Moins en Turquie.

Charles Melman :

Sans doute puisque vous le confirmez. Mais je peux vous dire que le problème de l’enseignement dans l’extrémité occidentale de l’Europe est devenue très spéciale parce qu’on a  affaire à des jeunes qui sont remarquablement intelligents et qui récusent toute autorité du savoir établi. Ceci pour répondre à votre question.

Auditeur :

Est-ce que vous pouvez réexpliquer le lien entre le SMS, la nouvelle communication et le 1 ?

Charles Melman :

Il n’y a pas de 1 dans la communication nouvelle. Ils ne se réfèrent pas pour écrire à un dictionnaire. Ils inventent sans cesse des unités significatives et avec une orthographe qui n’est pas fixée.

Auditeur :

Nous voilà dans l’impasse, avec sans doute cette différence entre le 1 et l’objet petit a et cette dialectique qui faudrait ‒  même pas… C’est ça le problème : on ne peut même pas instaurer une dialectique entre ces deux pôles. Et vous nous laissez un peu sur notre faim en disant qu’une solution apparaitrait dans le nœud borroméen mais, et on voit bien que se passer de l’1, du petit a, de l'un ou de l’autre, amène à des économies psychiques qui sont terrifiantes. N’arrive t-il pas que parfois le petit a et le un se confondent ?

Charles Melman :

C’est une question audacieuse. D’abord vous vous êtes servi d’un terme très juste, c’est-à-dire celui d’impasse. Et comme vous le savez, Lacan estimait que la fin d’une analyse, d’une cure, pouvait se définir par ce qu’il appelait la passe c’est-à-dire l’isolement par le sujet justement de ce qu’était pour lui l’objet qui faisait manque, qui faisait trou. Un exemple banal, tellement fréquent. Une rivalité fraternelle ou entre frère et sœur, quoi de plus commun? Et puis une existence subjective qui s’organise à partir du trou, du manque, mis en place par ce que le frère ou la sœur ont, et que lui, l’autre n’a pas. Toute une existence subjective susceptible de se construire sur ce qui s’isole comme un manque et qui va dominer toute la spéculation intellectuelle, les sentiments, les relations à autrui, la rivalité avec les copains, copines, etc. Voilà un mode d’exemple trop facile, trop évident sur ce qui s’organise comme pour un sujet quelconque comme éventuellement l’objet qui manque, petit a : moi, j’ai pas été aimé comme lui, lui a eu l’amour, moi j’en ai manqué. Et les ravages que ça peut produire, avec la question suivante : est-ce que la cure psychanalytique  permet par l’isolement de ce qui est organisateur, d’être un peu soulagé de cette opération et donc de vivre un désir moins encombré par la répétition des mêmes impasses ?

Maintenant, pour répondre à votre question, qu’est ce qui se passe quand c’est le 1 qui se confond avec l’objet petit a. Ce qui se passe a un nom en clinique, ça s’appelle la perversion.

Auditeur :

Est-ce que vous pouvez expliquer très rapidement l'objet petit a, et par exemple, chez Spinoza  et éventuellement chez Nietzsche,  ce n’est pas le manque d’objet qui nous fait désirer et aimer mais plutôt, nous avons une sorte de libido, c’est pour ca que l’objet nous manque. Comme Lacan renverse toutes les traditions, nous pouvons peut-être donner raison à Spinoza et Nietzsche.

Lacan a eu des rivaux parce que ce n’est pas seulement lui qui, au XXe siècle a proposé la renonciation au concept, il a Heidegger et pourtant il ne parle jamais de psychanalyse, et en France il y a eu Levinas qui n’a pas parlé de psychanalyse, il a été réticent. Et Deleuze qui a parlé de la psychanalyse en partant de ce concept de manque et en déclarant que ce n’est pas le manque qui définit le désir, je crois que c’est la question, et Deleuze a pris l’exemple de Spinoza en disant qu’il y a un excès chez eux.

Charles Melman :

Alors, Spinoza est l’auteur de cette formule admirable et qui est que le désir est l’essence de l’homme. Le désir, pas le besoin, pas la demande, le désir.

Il a aussi cette formule : Deus sine natura. On comprend qu’il a été excommunié après ça.

Pour Nietzsche, il me semble, que le manque est essentiellement lié à l’insuffisance de la créature à accomplir son Idéal. Et il s’insurge contre cette insuffisance de l’humanité. Lacan, il dit quelque chose qui n’est pas loin de Nietzsche et qui est général très mal reçu. Il dit l’éthique de la psychanalyse c’est : ne cède pas sur ton désir. C’est spinoziste et nietzschéen, mais pourquoi il peut dire ça ? Parce qu’il sait que même si je cherche à aller au bout du désir je ne trouverai jamais qu’un semblant qui ne saura jamais venir combler le manque constitutif du désir. Donc il dit : n’aie pas peur, va au bout de ton désir et tu verras que de toute manière, tu n’y arrives pas. 

Auditeur :

Effectivement vous n’avez pas parlé du désir comme énergie, comme puissance. Il y a autre chose dont vous n’avez pas parlé, le concept important de pulsion. Comment est-ce que vous l’articulez avec les notions de désir et d’amour ?

Charles Melman :

Pour vous répondre je prendrai un exemple clinique pour ne pas être trop théorique. C’est ce qui se passe dans une affection névrotique qui est aujourd’hui  fréquente en Europe, je ne sais pas en Turquie, et qui s’appelle l’anorexie-boulimie. C’est étrange. L’anorexie-boulimie a tous les caractères d’une pulsion, et en particulier l’épisode boulimique. Qu’est ce qui veut être cerné en l’occurrence, qu’est ce que la jeune fille cherche à cerner dans cette affaire ? Il est évident qu’elle cherche à cerner un objet oral et qui provoquerai une satisfaction corporelle à la fois totale, complète et hors sexualité. Hors sexe. Et d’ailleurs, je dirais, sa présentation corporelle elle-même est faite pour la mettre à l’abri de l’approche sexuelle. Donc on peut dire que la pulsion est cette sorte de force qui s’exerce indépendamment du sujet parce que le sujet ne peut pas résister : c’est malgré lui, ça s’impose à lui, et qu’il essaie de saisir en faisait le tour d’un objet que justement le désir ne peut saisir.

Auditeur :

Vous parliez des jeunes qui communiquaient avec Internet en récusant toute autorité. Qu’est ce qui se passe avec le 1. C’est la passion pour le père, le symbolique, donc est ce qu’on peut se passer de ce qui constitue le sujet humain, c’est aussi impossible d’envisager qu’on puisse structurellement exister sans le père, ou sans le concept du 1. Quelle est votre opinion ?

Charles Melman :

C’est exactement la question sur laquelle Lacan est resté. C’est-à-dire qu’il n’a pas conclu. Il est resté sur la même question avec la remarque suivante : notre rapport au 1 est manifestement et clairement la grande cause des névroses, c’est-à-dire du refoulement. À l’échelle collective, l’amour du 1, dès lors qu’il devient celui d’une communauté, peut conduire comme nous le savons à de sérieuses difficultés avec l’entourage. L’amour du 1 a beaucoup d’avantages, d’abord parce que le 1 auquel nous avons à faire, il aime, il est supposé aimer tous ses enfants, qu’ils soient pauvres ou riches, hommes ou femmes, adultes ou enfants. Il est démocratique, il aime tout le monde de façon égale. Et il a un autre avantage considérable : comme on le sait la culture antique vivait dans l’angoisse de la disparition de la fécondité, de la procréation, du désir. Est-ce que le printemps reviendra ? Il fallait faire des sacrifices pour qu’il revienne, y compris des sacrifices humains. Et on n’était jamais sûr qu’après la grande nuit de l’hiver, les feuilles et les fleurs allaient revenir, ni les récoltes. Grâce à l’amour pour le père, nous sommes tranquilles. Trop tranquilles car du même coup nous nous permettons d’abîmer la planète. Nous sommes tranquilles, il prend soin de nous.

Auditeur :

La solution du rapport entre un homme et une femme proposée autour de l’objet un, est-ce que la femme dans cette situation-là perdrait quelque chose de sa position féminine ?

Charles Melman :

Une remarque si vous le permettez. Le Livre noir, d’Orhan Pamuk, c’est la quête d’une femme. C’est l’histoire permanente, éternelle, c’est la même histoire qui se répète. Elle est toujours là, au cœur de nos vies.

Auditeur :

Ce n’est pas une réponse sur les femmes, mais plutôt sur les hommes. Je voudrais mieux comprendre ce que Lacan propose. Est-ce que c’est la promiscuité, plus pour la femme que pour l’homme ? Petit a, la promiscuité vers l’amour… Joie de vivre, c’est ça ou alors quelque chose de plus obscur ?

Est-ce que vous-même vous finissez par le haïr ou par l’aimer ?

Charles Melman :

Si Lacan promettait la joie de vivre, ça nous changerait un peu mais ça ne figurait pas dans ses promesses. Maintenant, ce qu’il suggérait, c’était la possibilité pour un homme et une femme de, comment dirais-je, partager pleinement et peut-être sereinement la jouissance qui leur était permise, possible. Pas dans le conflit, ni la revendication, pas dans la guerre ou les dénonciations. Ce n’était pas un projet de paix universelle, comme Kant, mais c’était l’évocation, après tout, est ce que ca serait impossible

Maintenant, est ce que moi je hais Lacan ? L’un de mes regrets, c’est que Lacan était très seul et il cherchait beaucoup d’avoir des compagnons de travail, aussi des amis. Il avait un ami très proche, c’était Merleau-Ponty. Il est mort et j’ai vu le deuil de Lacan à ce moment là. Il travaillait très seul et, parmi ses élèves, il rencontrait avant tout des réactions liées au transfert, soit des réactions de haine, soit d’amour dont il n’avait rien à faire. En ce qui concerne mon regret personnel, c’est qu’il m’a donné la possibilité d’être un compagnon de travail, mais il faut croire que cette proximité où le travail même de l’analyse me rendait cette promiscuité trop gênante et que je n’ai pas pleinement répondu à son attente. Je le regrette pour moi aussi, donc c’est ni de l’amour ni de la haine, c’est un regret à la fois intellectuel et aussi affectif.

L’amitié profonde était là mais ne pouvait pas  se traduire effectivement pour être un compagnon de travail.

Auditeur :

Chez Lacan, structurellement, dans la sexualité de la femme, il y a  la possibilité de dépasser l’autorité ou bien la structure imposée par le phallus, possibilité qui n’existe pas chez l’homme. Je ne comprends pas très bien comment ces deux différences structurelles peuvent être surpassées et comment une sexualité utopique et qui surpasse peut exister en même temps avec un idéal asexuel de l’amour, de la femme comme asexuelle, pure et sacrée.

Charles Melman :

Une femme ne sait jamais pourquoi elle est désirée. Et du même coup elle a très facilement l’impression qu’en réalité il doit en désirer une autre. C’est-à-dire qu’elle ne sait pas pourquoi elle se trouve, je dirais, incarner l’objet cause du fantasme de son partenaire, et elle ne sait pas quel est cet objet. Mais en tout cas, elle pense que son partenaire, ce qu’il voudrait, c’est qu’elle soit une, c’est-à-dire qu’elle soit marquée du même phallicisme que lui. Et donc, à cette énigme que lui propose le désir de l’homme, elle veut répondre pour lui faire plaisir en se faisant une, comme lui il est un. Et donc, de réaliser un amour de un à un. Donc, comme vous le voyez, le fait que chacun vise de son côté. D’autre part, Lacan avec le nœud borroméen ne propose aucunement un amour sublimé, mais il demande s’il est possible que homme et femme, avec des positions distinctes qu’il écrit, c’est-à-dire il symbolise les positions différentes d’un homme et d’une femme, puissent se rencontrer dans le partage d’un même objet. C'est-à-dire débarrassé du souci pour l’homme de paraître un homme et la femme débarrassée du souci d’être vraiment la vraie femme.

Auditeur :

Quelle est la relation de la pulsion de mort avec cet amour pour le un ?

Charles Melman :

D’abord, c’est d’aller jusqu’au bout puisque le désir n’a à faire qu’à des semblants, des semblants d’objets ; et d’autre part l’idée de le rejoindre : Le, le père mort.

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