Marie-Charlotte Cadeau : Spécificités de la subjectivité féminine - 1

 

Marie-Charlotte Cadeau, Charles Melman : Remarques

Jeudi 11 Novembre 2010

 

 

Je commencerai ce soir, en vous faisant remarquer ce dont nous partons, c'est-à-dire, le fait qu’il est avéré que la souffrance et les jouissances d’une femme ne recouvrent pas celles de son compagnon. Et néanmoins, malgré cette différence irréductible, semble-t-il, et qui n’est pas quelconque, eh bien, nous ne trouverons, dans aucun ouvrage de psychopathologie, nous ne trouverons un abord, je dirais, de ces problèmes qui justement tiennent compte de cette différence, et susceptible non pas seulement de nous rendre plus adroits dans, je dirais, l’exercice d’une pratique, mais susceptible de nous éclairer sur un enjeu qui n’est pas quelconque puisqu’il s’agit, comme nous le savons, de celui de la guerre des sexes, qui constitue l’un des grands thèmes, je dirais, vécu de notre culture, et dont on ne saurait dire que ses tenants et ses aboutissants soient satisfaisants ni pour les uns, ni pour les autres.

Comme vous le savez, nous abordons cette question de la  subjectivité féminine à partir donc de cette remarque, de cette conclusion pessimiste de Freud : Le continent noir. Autrement dit, on n’y voit rien. C’est ce qui, évidemment, je suppose, vous fait tout de suite sourciller, et vous vous dites : « ben, c’est peut-être bien ça, oui, on n’y voit rien ! ». Et, je vous rappelle que c’est, le début, du premier rêve qu’il nous apporte, dans La science des rêves, l’un de ses rêves, celui de, dit de  L’injection faite à Irma et où, effectivement, cela commence comme ça, Irma, il veut savoir ce qu’elle a dans la gorge, et puis ce qu’il y trouve, est vraiment bizarre, étrange, en tout cas il n’y voit pas grand-chose. Donc, ce début, je dirais, cette inauguration, d’emblée placée sous le signe de  « mais, qu’est-ce qu’une femme raconte ? De quoi parle-t-elle ? Et qu’est-ce qu’elle veut ? »,  puisque c’est le sens du rêve de L’injection faite à Irma. Vous voyez qu’elle est principielle, dans ce rêve que rapporte Freud, et qu’au fond, il adresse cette question à ses lecteurs, je dirais, d’une certaine manière : « -Aidez-moi là-dessus, faisons ensemble un groupe de recherche, pour mettre un peu de lumière, allumer quelques lanternes dans ce continent noir. »

Continent noir qui n’est pas aussi simple qu’il y paraît, puisque, il est de tradition de dire qu’une femme gagne à entretenir un mystère, ce mystère ; qu’elle y gagne, autrement dit qu’à préserver justement cette part d’ombre, elle y abrite son attrait et sans doute sa puissance.

Mais il se trouve toujours à propos de cet(te)… de ce  continent noir, que nous disposons aujourd’hui, comme vous le savez, des moyens technologiques qui nous permettent de voir dans le noir (rires). Le noir ne nous effraie plus, on se met un petit machin là, comme ça sur le front, et puis vous vous déplacez dans le noir sans plus de difficulté. Avant même, je dirais, cette technologie, Lacan fait remarquer à un détour de la question, que nous ne savons plus ce que c’est qu’une nuit noire, compte tenu de l’éclairage public devenu aujourd’hui ordinaire, et qui fait que justement cette obscurité parfaite, celle qui résiste à tout éclairage nous est devenue inhabituelle, sinon étrange. Et il est vrai que cette technologie, ce qui également viendra s’inscrire dans cet autre registre qui est cette exigence de transparence, nous étions au siècle des lumières, il n’y a pas très longtemps, nous sommes aujourd’hui, au siècle de l’I.R.M. C’est un changement qui n’est pas sans effets, sans conséquences, y compris, bien sûr, sur ce continent noir, sur cette part obscure, et nous sommes obligés de constater que ce progrès technologique va de pair, avec justement, un affranchissement à l’endroit du mystère féminin. Je veux dire que, ce qui aujourd’hui se présente de plus en plus comme un naturalisme du sexe, autrement dit le fait que le rapport s’établisse entre un mâle et une femelle, la question justement de l’identité, je dirais, assumée socialement et subjectivement par l’un ou par l’autre, vienne à se détacher de ce à quoi semblait jusqu’ici condamner l’anatomie, comme s’exprimait Freud, eh bien, nous savons que justement aujourd’hui, nous assistons effectivement à ce progrès, appelé naturalisme du sexe, autrement dit, l’établissement du rapport entre un mâle et une femelle. Entre, cette obscurité d’un côté et ce qui serait cette transparence absolue de l’autre, nous sommes obligés de remarquer que opère un escamotage. Un escamotage, et qui est, reste, celui justement du ratage ordinaire du couple, et également de ce qu’il en est de cette pathologie du couple, je veux dire, disons pour être plus simple, de son malaise, et qui pas moins subsiste… Quitte à faire remarquer que, à ce qui était autrefois et encore maintenant, mais enfin sous d’autres formes, la guerre des sexes, semble s’être substitué, ce qui est remarquable, c'est-à-dire le phénomène de la copinerie. Et ce passage dans le vocabulaire n’est pas sans justesse, je dirais, il est devenu tout à fait ordinaire que soit évoqué par les parents libéraux et généreux et bienveillants que nous sommes tous, il n’est pas, je dirais inhabituel, que soit évoqué le fait que, eh bien, le fils ou la fille, n’est-ce pas, vit avec copain, copine. Le terme même, soulignant une mutation de la relation, dont pour abréger, je vous dirai tout de suite que d’un registre ternaire avec celui du couple, elle est devenue duelle. Hein ! Copain, copine, voilà ! C’est le contrat, contrat à durée variable, hein, c’est un C.D.D., contrat, à durée variable passé entre deux partenaires. C'est-à-dire que tout se passe comme si là, les deux intéressés retrouvaient, d’une certaine manière, la copinerie qui a existé dans leur enfance. Copinerie première, et avec cette première, je dirais, indifférence des sexes entre le garçon et la fille, et où la fille est tout aussi garçonnière que son frère, et avant qu’opère la séparation des places liées au sexe. Remarque aussi, c’est que dans cette copinerie, la relation est fondée essentiellement sur une relation d’identité et en particulier bien sûr, de communauté de goûts, et une mise en suspension de la dimension de l’altérité.

À l’aborder, à vous présenter cette mise en place, je dirais, cette clinique devenue aujourd’hui ordinaire, banale, la question qui surgit aussitôt, c’est de savoir  comment aborder ce qui nous intéresse, sans soi-même être pris d’emblée par la pathologie, autrement dit par les comptes à régler. Avec cette question : est-ce qu’il existe effectivement, une position pour aborder ces thèmes, qui ne soit pas forcément située d’un côté ou de l’autre, c'est-à-dire forcément engagée, et non seulement partie prenante mais partie prise ? Et, pour essayer d’emblée de vérifier ce qui va à nous-mêmes, nous arriver dans ce travail, je commencerai par vous faire remarquer que cette obscurité entretenue sur ce qu’il en est de la féminité, peut être pour nous, si on y prête attention, peut être pour nous, intéressante. Je veux dire déjà, nous servir de guide, pour aborder notre travail.

Pourquoi intéressante ? Parce que, l’obscurité ainsi maintenue veut dire d’abord, qu’il s’agit là d’un espace qui résiste au concept. En effet, c’est le propre du concept de venir se saisir, représenter, signifier, ce qui risquerait de paraître étrange et du même coup de venir l’exposer à la lumière, y compris à la lumière critique. Mais en tout cas, s’il y a une zone d’obscurité, c’est bien que c’est une zone qui résiste au concept. Et à ce sujet, on est bien, sur ce point, bien obligés de faire remarquer qu’effectivement l’un des traits propres à une femme, c’est de déborder tout concept, de le défier, voire d’en nier l’extension ou le pouvoir, de dire : « Ah, c’est pas encore ça, faites encore un effort, s’il vous plait ». Autrement dit, qu’il y a déjà une spécificité de la position féminine qui effectivement, tend chaque fois à ménager au bord du concept, cette zone d’ombre dont nous venons de parler, y compris, parce qu’il n’y a pas, comme nous le savons, que la provocation qui anime cette attitude, mais y compris lorsque la destinataire de ce concept, va chercher, au contraire, au lieu de le défier, d’y collaborer ; autrement dit va déployer ses efforts pour venir faire un maître, qui soit un maître total, totalitaire, et qui donc, effectivement ait le pouvoir de lui accorder l’identité, la reconnaissance, qui fondamentalement semble lui faire défaut. Donc, nous voyons déjà à l’égard de ce premier mouvement, je dirais une position féminine qui va déjà se caractériser par, va-t-on dire, le non et le oui ! Les deux d’ailleurs, pouvant parfaitement coexister et nullement se gêner, même si elle risque de paraître bizarre à l’entourage.

Une autre façon, bien sûr de tenter d’éclairer ce continent noir, c’est bien sûr la démarche, non plus conceptuelle, mais logique. Et, il faudra simplement remarquer à ce propos, que le fait que la position féminine soit celle justement, de ce qui vient montrer l’incomplétude de toute logique, c'est-à-dire l’impossible auquel se heurte toute formalisation quelle qu’elle soit, que c’est le propre de toute formalisation, je dirais, la difficulté, puisqu’il ne semble pas que jusqu’à ce jour ça ait été fait, de reconnaître dans cet impossible spécifique de la logique, justement ce qui est le propre de la position féminine, c'est-à-dire celle qui vient décompléter toute logique ; et si vous ajoutez déjà, le fait que ce qui va manquer à cette logique pour se conclure, pour se fermer, pour être totale, pour réaliser le vœu de Hilbert, ce qui lui manque c’est justement la petite lettre qui viendrait, je dirais, fermer le système, celle qui fait défaut, vous allez avoir la surprise de devoir dire : « ben voilà ! Ce qui soutient dans une démarche logique la position féminine, ce serait bien cette petite lettre qui fait défaut, qui fait défaut pour que le système puisse être abouti, puisse être complet, puisse être total. »

Cette démarche que je suis en train, pour vous, d’évoquer, qu’elle soit conceptuelle ou logique, admettons qu’elle soit essentiellement, je dirais, qu’elle vienne essentiellement du côté masculin. Mais, voyons un instant, comment du côté féminin se pose la question justement, d’une résolution de cette question ouverte sur ce qu’il en serait d’une identité spécifique de la femme et qui donc, viendrait dissoudre ce continent noir.

Est-ce que, par exemple, nous allons dire qu’une femme peut être à la recherche d’une parole qui serait, elle, spécifiquement féminine ?

Ça, je dois dire que ce serait le rêve ! Ça veut dire qu’une femme pourrait parler le féminin, elle pourrait se réclamer de l’instance, je dirais, propre à la parole, à une voix, v.o.i.x (épelé), et qui serait spécifiquement féminine. Autrement dit, elle y trouverait bien sûr dans l’articulation de cette parole et dans cet appui pris sur cette voix, spécifique, propre, elle y trouverait aussitôt la résolution à la question de son identité, aussi bien pour elle que pour son partenaire. Ah ben voilà, elle parle le féminin ! Ce serait chouette ! Mais, comme vous le savez et comme nous sommes amenés à le retrouver à cette occasion, de voix, v.o.i.x (épelé), il n’y en a qu’Une, et ce qu’il y a de pire, c’est qu’elle est forcément virile, pour des raisons de structure. Autrement dit, elle prend forcément appui sur ce qui, dans la théorie lacanienne, sera conceptualisé comme instance phallique. Il n’y en a qu’Une, elle est virile. Autrement dit, il ne peut y avoir à cet égard, dans l’exercice de la voix, qu’une compétition pour savoir lequel ou laquelle des deux a la voix la plus virile, et comme nous le savons, c’est bien comme ça que ça se passe. C’est le championnat habituel, et je dirais, comment dirais-je… qui n’aboutit jamais…, comment dirais-je…, à un palmarès satisfaisant, ce championnat-là.

Est-ce qu’il existerait un sujet, qui serait spécifiquement féminin ? Autrement dit, une parole qui viendrait d’une place subjective et qui serait spécifiquement féminine ?

Alors là aussi, ce serait drôlement chouette ! Ce serait le rêve… Sauf que, là encore, comme pour la parole, de place subjective, il n’y en a qu’Une, ce que Lacan écrit sous la forme du S barré, $, et qui se trouve, cette dite place, source de l’émission hystérique.

Qu’est-ce que c’est, à quoi est-ce qu’on reconnaît le caractère hystérique de ce qui vient depuis cette place ? Eh bien, c’est que cette place est animée par une demande, qui s’adresse pas seulement à autrui, mais qui, en quelque sorte, se réclame de l’existence justement d’une autorité spécifique, fondatrice de cette subjectivité et qui, elle, n’existe pas puisque, il n’y a pas d’autorité susceptible de venir soutenir une subjectivité féminine. On sera forcément amenés à revenir là-dessus, mais c’est ce que Lacan résume très bien sous la formule La femme, La barré, n’existe pas, il n’y a pas d’au-moins-Un féminin.

S’il y avait un au-moins-Un féminin, là aussi, ce serait chouette parce qu’il y aurait une classe des femmes et la femme pourrait s’autoriser, je dirais, de son patron à elle, pour justifier, fonder son existence. Mais elle a beau, je dirais, par la force de son appel, essayer de faire valoir ce qu’il en serait, je dirais, de ce dieu qui n’existe pas, de ce Dieu à elle qui n’existe pas et qui fonde la légitimité de sa demande et qu’elle cherche à faire reconnaître et à faire valoir, eh bien nous savons, que ça reste une tentative vaine et que, je dirais, malgré sa force et son talent, le discours hystérique n’aboutit guère en général qu’à son entretien propre.

Alors, il y a encore une position féminine pour tenter de résoudre l’impasse sur laquelle j’attire votre attention, c’est la position féministe. La position féministe, elle consiste simplement à affirmer une identité féminine, absolument à l’égale de celle d’un homme, mais qui n’a besoin d’aucune référence tierce, c'est-à-dire d’aucun dieu, d’aucun père, pour venir s’affirmer, et ne se tenant que de la reconnaissance par un groupe, un groupe d’identiques et qui célèbrent entre soi cette identité assurée. Et ce qui est l’une des caractéristiques, je dirais, de cette tentative, c’est que par son affirmation, je dirais, absolue de l’identité féminine, elle exclut, elle aussi cette façon de procéder, la dimension Autre de l’altérité, et comme on sait dans ce type d’organisation, ce type de système, l’homme n’y a pas de place, ni intérêt ni place. On s’en fout, ou alors on a besoin que de son produit fécondant, mais par ailleurs, il n’a pas d’intérêt.

Encore une dernière façon, il y en a peut-être d’autres que vous apporterez, mais que pour ma part, j’ai relevée sur les modalités féminines d’aborder cette question de l’identité propre, et donc, de lever cette obscurité dont nous sommes partis. C’est la question de l’écriture. S’il n’y a pas de parole qui soit féminine, est-ce qu’il y a néanmoins une écriture qui elle, le serait ? Alors, là aussi, je dois dire que ce serait chouette parce que il suffirait en quelque sorte, qu’on apprenne à nos enfants, à nos filles d’écrire le féminin pour que, vous le voyez, elles trouvent aussitôt là, un appui, je dirais, salvateur. Puisque la suspension, je dirais, ce dont nous partons, la suspension d’identité dont nous parlons, leur fait problème évidemment, comme nous le savons. Donc, est-ce qu’il existe une écriture spécifiquement féminine ? Hein, vous ouvrez des pages, on ne vous dit pas quel est l’auteur, et paf ! Aussitôt vous dites : « Ah, ça, pas de problèmes… Il n’y a pas de problèmes, ça c’est une écriture féminine ! ». Je ne parle pas, évidemment de ce qui serait simplement la manifestation d’une sensibilité féminine ou de l’affirmation évidemment du sexe du narrateur, et de la sensibilité particulière qu’une femme peut avoir à l’endroit des phénomènes et du réel, non ! Je parle de ce qui serait une modalité spécifique. Et là, nous débouchons sur une assertion étrange, mais que nous devons à notre maître à tous et à toutes, j’ajoute – enfin presque toutes, puisqu’elles ne sont pas-toutes, alors presque toutes !  Ils ne sont pas-tous non plus d’ailleurs. –  C’est que l’écriture, par essence, est féminisante. La parole prend appui sur cette instance vocale, qui est forcément virile, et voilà que l’écriture elle, est féminisante. Et pour aller vite et pour abréger puisque ce n’est pas là-dessus que je voudrais m’arrêter, si nous retenons ce que j’ai dit tout à l’heure à propos de la logique, c'est-à-dire que  ce qui viendrait soutenir la position féminine, c’est la petite lettre qui vient manquer au système formel, disons que l’usage de la lettre, en tant que telle, met celui qui s’y exerce, dans une position féminine. Donc, de ce côté-là, une manifestation curieuse, pas inattendue, mais qui en tout cas ne nous permet pas, là encore, de nous sortir comme ça, rapidement, d’emblée, de l’énigme dont nous partons.

Alors, pour ce soir avancer et tracer, je dirais, le premier cadre dans lequel pour ma part, Marie-Charlotte verra de son côté comment elle procède, mais le premier cadre, qui évidemment, m’est venu à l’esprit pour traiter ces questions, je voudrais situer pour vous, de quelle manière nous pouvons déjà repérer ce qu’il en est de la féminité, en nous appuyant sur deux écritures de Lacan, l’une qui est celle évidemment des formules de la sexuation, et l’autre, plus inattendue bien sûr, et qui est le nœud borroméen. Et, pour commencer, non pas avec les formules de la sexuation, mais pour y introduire avec des repères fournis par Lacan, je commencerai donc ce soir par ceci : qu’en est-il du Réel, du  Symbolique et de l’Imaginaire pour une femme ? Ce qui nous permettra en outre, ce qui aura l’avantage, me semble-t-il, de bien spécifier pour chacun d’entre nous, ce que nous entendons par ces trois dimensions. Encore que Lacan dise  que ce ne sont pas des dimensions ; moi, peu importe, pour le moment, parlons comme ça, nous verrons bien. Ces trois registres, disons.

Pour une femme, qu’est-ce que c’est, pour elle, que son Réel ?

Son Réel, c’est bien entendu celui de son corps. Celui de son corps, en tant que, d’abord il sera marqué assez précocement, et alors que psychologiquement et subjectivement, elle n’y est pas prête du tout, marqué par les signes, qui la rendent, je dirais, fécondable ; l’apparition de la menstruation, la surprise pour l’enfant, de constater que sans qu’elle ait ni choisi, ni qu’aucunement elle soit en mesure de l’assumer – comment le pourrait-elle, je dirais dans notre culture ? Puisque nous ne marions pas nos enfants à l’âge où on les mariait autrefois, c'est-à-dire dès qu’ils étaient pubères – mais, l’apparition de cette mutation, cette transformation, qui signe dans son corps, je dirais, le fait qu’elle relève de la fécondité. De façon parfois contemporaine, parfois un peu plus tardive, l’apparition des caractères sexuels secondaires, qui ne manquent jamais de faire problèmes, et des problèmes qui ne sont pas d’ordre moral ou culturel, mais qui sont, je vais attirer votre attention là-dessus, qui sont des problèmes de structure. Pourquoi ? Eh bien, parce que dans le champ de la représentation, le champ de la représentation, pour nous, il est construit sur ceci, c’est que nos images, les images qui nous y représentent, dans le champ de la représentation, nos images n’y ont de statut que dans la mesure où justement, elles sont amputées des signes de la sexualité. C’est le prix dans notre culture, que nous payons, dans notre culture marquée par la religion, que nous payons du droit à figurer dans le champ de la réalité. Si je veux être sur scène, si j’ai le droit d’être sur scène, eh bien, ça implique que j’ai effacé les signes de la sexualité. On peut appeler ça, castration, si vous voulez, imaginaire, en tout cas. C’est ce que Lacan représente dans l’un de ses dessins à propos du moi, où vous observerez un étrange pointillé qu’il dessine autour du sexe de l’homme, en temps que, ce qui vient se projeter dans l’espace de la représentation, c’est une figure amputée de son sexe. Et il est bien vrai que dans ce champ où je me déplace, le champ de la réalité, eh bien, la relation avec autrui, la légitimité de ma présence est fondée sur ceci, c’est que, témoignent de mon appartenance sociale et de mon droit à la représentation, dans la mesure justement, où j’ai dans cet espace, renoncé au sexe, j’en ai fait le sacrifice, sacrifice symbolique, j’en ai fait le sacrifice et n’en ayant plus l’exercice que dans des conditions privées et qui justement, échappent au champ de la représentation.

Vous voyez dès lors, l’embarras que peut éprouver la jeune fille qui se trouve, elle, dans la posture, d’une part, de ne pas toujours parvenir à dissimuler, quelque effort qu’elle fasse et comme on le sait il n’est pas rare qu’elle en fasse de considérables, à dissimuler les caractères sexuels secondaires qui la surprennent, qui sont là venus, qui la dépassent, et donc, le fait que du même coup elle sache que, d’une part elle n’a légitimité à figurer dans cet espace, dans le champ de la représentation, qu’à la condition d’être marquée par l’appartenance sexuelle, mais en même temps qu’elle a à renoncer à ces manifestations extérieures, et y renoncer serait du même coup, je dirais, illégitimer sa participation au champ de la réalité. Je ne sais pas si je me fais tout à fait bien comprendre ?

Donc, je dirais un type d’embarras, dont, je dirais que la meilleure représentation qui puisse à ce moment-là venir à l’esprit, pour figurer ce qui là se passe, est celle de la chimère, la figure de la chimère, voire de la sphinge. C'est-à-dire, justement celle qui pose les énigmes, avec une tête humaine et puis un corps qui, dans la mesure où comme nous venons, comme je viens d’essayer de le rappeler, ne peut être conceptualisé puisqu’il déborde le concept, un corps qui du même coup n’a d’autre représentation qu’animale. Et, je pense qu’en vous rappelant, qu’en vous présentant de la sorte ces questions, je suis d’emblée avec vous, avec nous, dans le champ de la psychopathologie ordinaire, c'est-à-dire les modalités de la souffrance qui est commune, ordinaire, qui est celle du passage, on a pourtant envie de dire, obligé, pour, je dirais, avoir le droit d’exercice.

Je vous ai donc, jusqu’ici, parlé du corps féminin, je vous ai parlé de la menstruation, je vous ai parlé des caractères sexuels secondaires, il est bien évident que, on ne peut pas non plus négliger ce fait, qu’il semblera toujours, bien entendu, à cette enfant, que justement le problème c’est qu’il lui manque l’insigne, l’insigne qui fait que le petit frère ou que le copain, lui, il est de plein droit dans le champ de la réalité, dans le champ de la représentation, qu’il y est chez lui, alors qu’elle-même y est toujours d’une certaine manière en position de hôte, avec un h, qui a à se faire accepter ou bien qui se met en position de refuser, de dire : « je n’en veux pas ! ». Et vous voyez tout de suite, par ce type de rappel, combien –  mais ça viendra en son temps, il y aurait à parler, mais ça viendra en son temps, il ne faut pas se précipiter, on ne peut pas tout aborder, hein ! – Combien il y aurait à parler, évidemment, de la grande modalité contemporaine qu’ont les jeunes filles, d’essayer de résoudre ce problème et qui est l’anorexie ; ou bien encore, ce qui se passe quand vous voyez arriver à votre consultation, une jeune fille parfaitement harmonieuse de proportions et qui va se plaindre, expliquer qu’elle ne supporte pas d’être grosse, que c’est intolérable.

Comme nous le voyons, nulle influence maléfique dans cette affaire, si ce n’est un type d’organisation pour nous du champ de la réalité et qui est construit sur ce mode, sur ce type. Ce n’est pas un champ de la réalité, je dirais, comment dirais-je…, que nous retrouvons dans l’histoire, comme étant propre à toutes les cultures. Absolument pas. Il est évident que, ce type de problème n’aurait absolument aucun sens dans l’antiquité, païenne, c’est clair. Il est évident aussi que, par exemple, la question ne se pose absolument pas de cette manière dans les pays africains. C’est donc une disposition qui nous appartient et dont il importe de repérer le type de difficultés qu’elle suscite.

Je vous ai parlé comme vous le voyez du Réel, du corps, je vous ai parlé de son Imaginaire, c'est-à-dire, la représentation, et bien entendu, il y a le problème du Symbolique. Quel est le rapport d’une femme avec le Symbolique ?

Le Symbolique, c’est une dimension qui semble-t-il est tellement simple qu’elle reste obscure, elle aussi, pour une grande part parmi nous. Car nous ne savons plus ce que c’est que le Symbolique, soit parce que nous sommes un peu trop dedans, soit parce que, le Symbolique nous a abandonnés, nous a laissés, nous a laissé choir. Et c’est ainsi que par exemple jeudi dernier, l’un de vous, tout à fait compétent, est venu me voir à la fin pour me dire : « Vous avez évoqué l’efficacité symbolique, mais c’est quoi l’efficacité symbolique ? »

Alors, le Symbolique, justement, nous intéresse particulièrement, à propos du thème que nous abordons, parce qu’il ne se dispose pas de la même manière justement, pour un homme et pour une femme. Prenons les exemples simples, le Symbolique, prenons les exemples que donne Freud.

Le drapeau, symbole de la patrie. La patrie, aucun de vous ne l’a jamais vue, hein ! Vous l’avez déjà rencontrée la patrie ? Ça ne l’empêche pas d’ex-ister, éventuellement d’ailleurs. Enfin, il arrive que ça existe, et qu’effectivement ce soit le drapeau qui en soit le symbole, et même Freud fait remarquer à cette occasion, que si sur le champ de bataille, eh bien, ce drapeau, de la troupe qui est engagée, vient à tomber, à disparaître, cette chute va provoquer la débandade. Pourtant, militairement ce n’est pas forcément majeur, essentiel, hein ? Il se peut même, que ceux, chez qui le porte-drapeau a été atteint, et puis dont le drapeau se replie, ils sont peut-être sur le terrain les plus forts, ils sont peut-être en train de gagner. Donc, le drapeau, symbole de cette instance que l’on appelle la patrie, instance unifiante, instance pour laquelle il s’agit en l’occurrence de mourir s’il le faut, et ne soyons pas surpris si dans tel tableau illustre de Delacroix, représentera le porteur du drapeau par une femme, les seins nus en plus. Tableau qui impressionne toujours d’ailleurs, hein, pas sans raisons. Car, voilà brusquement qu’apparaît justement, la mère patrie, en l’occurrence.

Alors, pour vous dire les choses, la manière dont le symbole va venir traiter différemment un homme et une femme, c’est que l’homme justement, il est, je dirais, du côté du drapeau, c'est-à-dire de ce qui représente dans le champ de la réalité cette instance, qui l’autorise lui, cet homme, et dont il se réclame, et qui lui confère si je puis dire, sa virilité. Alors qu’une femme, toujours par l’effet de ce symbole, elle sera de l’autre côté, du côté du Réel, c'est-à-dire justement, du côté de cette instance essentielle, divine, porteuse de vie, et que le symbole est venu représenter dans le champ de la réalité. Elle en est un effet, c'est-à-dire qu’elle se trouve dans ce champ Autre, en tant qu’il est aménagé par le symbole, et avec je dirais, cette conséquence qui peut nous paraître intéressante, c’est que dans ce champ Autre, elle ne pourra se sentir à l’aise que si justement cette opération de tranchement opérée par le symbole, sexualise ce lieu Autre ; autrement dit, en fait le lieu dépositaire de ce trésor qui entretient le désir, de cet objet énigmatique qui entretient le désir. Et justement, ce à quoi nous assistons si volontiers aujourd’hui, dans la clinique à laquelle nous avons affaire, c’est que, du fait de cette évolution des mœurs –  que, soyez assurés qu’il ne s’agit en aucun cas, je dirais, de critiquer, qu’il s’agit d’observer et dont il s’agit d’essayer de rendre compte pour ceux qui viennent nous voir et auxquels nous avons à répondre. Mais le fait, que viennent si souvent faire défaut, au domicile pour la jeune fille, l’instance qui serait venue justement pour elle, à la fois mettre en place cette dimension Autre et la sexualiser, et donc, si je puis dire, donner à la jeune fille le type de domicile qui lui permet, je dirais, de supporter sa forme, ses formes, son identité, eh bien, le fait qu’aujourd’hui il en soit différemment, peut nous rendre compte de ceci, c’est que du même coup, je dirais, elle vient dans le champ se tenir comme son camarade dans le champ de la réalité et non plus dans le champ de l’Autre, au titre justement du copain-copine, dans ce qui du même coup, devient, comment dirais-je, non pas une indistinction des sexes, absolument pas, mais en tout cas justement, ramène la vie de ces couples, je dirais, au naturalisme du rapport sexuel. Voilà, c’est organique ! Autrement dit, ça se dispense d’être une aventure spirituelle pour pouvoir fonctionner, exister, et je m’arrêterai là-dessus puisque ça fait une heure que je vous entretiens.

Cette dispense que j’évoque à l’instant, peut éventuellement rendre compte de ceci, c’est que, se trouvent justifiées des procédures de type comportementaliste, qui évaluent les rapports avec l’entourage comme étant purement naturels et dispensés, je dirais, de ce qui serait la délibération morale d’un sujet, autrement dit, qui ramènent les échanges et les processus à des stimulations organiques. Autrement dit, le succès des démarches comportementalistes, comment dirais-je, n’est pas sans rapport avec effectivement ce type de mutation, qui l’encourage évidemment, et sur lequel, sur laquelle encore une fois, nous n’avons pas à nous précipiter, foncer avec un jugement moral, mais que nous avons à essayer d’évaluer pour là encore, je dis bien, premièrement répondre à celles qui en cette affaire viennent nous voir ; et puis aussi, nous mettre enfin, puisque c’est notre objectif, à établir ce qu’il en serait d’une psychopathologie spécifique, propre à une femme, autrement dit, des modalités de la souffrance et de la jouissance, qui lui sont propres, qui lui sont spécifiques, en partant toujours de ceci, c’est que, c’est une merveille, on n’a jamais voulu s’y intéresser.

Moi, je dirais que ce désintérêt, je dirais me semble à priori justifier toutes les protestations hystériques : « et moi, et moi ! ». Mais c’est quand même un fait remarquable que l’on puisse tranquillement ouvrir un ouvrage de psychologie, des meilleurs, « Rapports de l’individu avec son environnement et ses objets »… Voilà, un individu ! C'est-à-dire que d’emblée, vous voyez, se trouve retranché ce qui est pourtant l’élément, la préoccupation première, aussi bien du petit garçon et surtout de la petite fille, c'est-à-dire, comment j’ai à me tenir ? Comment puis-je convenablement me tenir ?

J’ai déjà, je le raconte plusieurs fois, et je termine par cette anecdote, lorsque j’étais hospitalier, je ne le suis plus hospitalier (rires), mais lorsque je l’étais, eh bien, j’avais à m’occuper un dimanche sur deux, du service des femmes à Sainte Anne, à l’admission, et j’avais donc des certificats à faire en grand nombre, en un  temps réduit, il fallait rapidement voir la malade et puis rédiger un certificat qui justifiait ou pas son admission, c'est-à-dire il pouvait se trouver qu’une personne soit là de façon indue et qu’il faille la faire sortir. Et donc ce certificat avait un certain intérêt, il devait être précis, et comme il y avait beaucoup de malades à voir il fallait être rapide. Et autant je parvenais avec les malades masculins à effectivement être rapide et à ne pas me tromper, mais, lorsque j’avais affaire aux malades femmes, je ne savais plus, c’était une autre pathologie. Alors on dira, oui mais, il y avait quand même les grands délires, les schizophrénies, les paranoïas… Y’ avait ! Mais d’abord, ce n’était pas toujours aussi évident, c’était beaucoup plus complexe, ça pouvait faire problèmes, on ne pouvait pas toujours être certain de la pathologie, je veux dire du caractère pathologique ou non des expressions qui avaient justifié l’internement. Et donc, je dirais, j’en étais très vite arrivé à remarquer, à constater que dans aucun manuel, dans un aucun traité, il n’était abordé le fait que ce n’était pas  la même expression et que ce n’était pas les mêmes pathologies. Et j’avais fait évidemment la remarque à Lacan, qui était, bien entendu, tout à fait de cet avis, bien sûr. Et ne serait-ce, et je conclus sur un de mes bateaux, si vous le permettez,  mais qui pour ceux et celles d’entre vous, qui suivez l’enseignement de Lacan vous paraîtra familier. Tout à l’heure j’ai évoqué la figure de la chimère, la sphinge, mais s’il est vrai qu’une femme n’est pas-toute, on va prendre cette formule pas-toute phallique, il est évident qu’il y a normalement une part d’elle qui est folle, qui échappe à la raison, qui échappe au concept, comme j’ai essayé de le développer et que, comme je l’ai dit aussi, c’est un élément de son charme, un élément essentiel…, et donc…

Marie-Charlotte Cadeau : C’est masculin de dire ça !

— Charles Melman : … Pas-toutes folles

— Dans la salle, Mme… : Juste ce qu’il faut, j’entends derrière (rires)

— Charles Melman : Donc, si vous le voulez bien, cette introduction à ce travail dans lequel nous nous engageons. Il nous reste là 8 minutes, parce que j’ai pris beaucoup de temps, on va s’arrêter à 10 h 1/4. Marie-Charlotte…

— Marie-Charlotte Cadeau : Je vous remercie beaucoup, pour cette introduction, qui déjà pose énormément de jalons et bon, avec lesquels évidemment, je suis tout à fait d’accord. Alors si… Juste une petite remarque là, humoristique sur ce que vous venez de dire, parce que lorsque vous avez dit : oui, elles sont à moitié folles, bon effectivement et que ça fait rire, je me disais, pardonnez-moi, c’est une remarque quand même très masculine, parce que ce n’est pas drôle forcément pour les femmes, bon. C'est-à-dire que oui, ça fait rire, mais ce n’est pas forcément si drôle. Je veux dire, ça fait partie aussi de la souffrance féminine justement, ça peut en faire partie. Ça peut faire partie de son charme, mais ça peut faire partie aussi de sa souffrance, voilà, bon, spécifique peut-être justement, une modalité un peu spécifique de sa souffrance. Bon, je trouve, ce qui – juste, très, très rapidement, puisque ça pourrait évidemment être développé beaucoup plus – ce qui est remarquable, c’est que, ce que vous disiez dans la première partie de votre exposé, sur cette recherche évidemment d’un trait qui serait spécifiquement féminin, c’est, il est quand même remarquable que les premières, en quelque sorte presque, bon, adversaires, est un mot trop fort, mais les premières…, tout de même controverses qui ont eu lieu à partir de certaines femmes à l’égard de Freud, c’était justement précisément de dire à Freud, il y a un désir spécifiquement féminin. À partir de Karen Horney jusqu’à Mélanie Klein etc., c’est cette idée-là qui a été tout de suite mise en avant, évidemment avec les problèmes que ça a posés, je veux dire d’engager dans une théorisation clinique qu’on peut dire de nos jours, pas adéquate, mais ça a été leur revendication tout de suite, c'est-à-dire autour justement de la question de la phase phallique, chez les femmes, c'est-à-dire : mais non, les petites filles ne sont pas dans une position identique  au petit garçon, d’emblée ! Ça a été ça, tout de suite leur revendication, dire non les petites filles, elles ne sont pas – chez Karen Horney, par exemple qui a été la première – elles ne sont pas à l’égard de leur mère comme le petit garçon, ça a tout de suite été ça, elles sont tout de suite tournées vers leur père, et pas, dans une position par rapport… Bon, c’est la question de l’œdipe précoce, bon, qui a été très évoquée par Mélanie Klein, et elles disent vraiment clairement que c’est… Alors évidemment, ça a amené à des ornières, mais néanmoins, il faut quand même remarquer que Lacan leur rend quand même hommage, discute leur théorisation pendant quand même plusieurs années, tout en disant, parce que, c’est les premières phrases, n’est-ce pas, de son Congrès sur la sexualité féminine en 57, que justement, si la psychanalyse s’est engagée dans cette ornière de la psychanalyse du développement – lui, ce n’était pas les comportementalistes, mais c’était la psychanalyse développementale, développementaliste – c’était parce que justement on n’avait pas su s’occuper – ce que vous dites – réellement de la psychopathologie féminine. Donc, il était temps de s’occuper de la question de la sexualité féminine, parce que ça a fait déborder la psychanalyse du côté de la frustration maternelle, tout expliquer par la frustration maternelle, et essayer de récuser Freud sur la phase phallique, c'est-à-dire que la petite fille vivrait un moment où elle voudrait, désirerait avoir l’organe masculin. C’est ce qui a été la grande tentative de récusation des années 30, et ce qu’il appelle la bataille de la phase phallique, Lacan, parce que évidemment ça permettait donc de dire que d’emblée – alors, ça sera évidemment développé par Jones aussi – voilà, un naturalisme déjà, ce que vous disiez à la fin, n’est-ce pas, un naturalisme de la femme, de la féminité, bon voilà. Alors évidemment, Lacan va montrer que cette phase phallique, on ne peut la penser autrement que Freud à partir de la question du langage, que justement le phallus, c’est un problème symbolique et non pas un problème organique, donc évidemment arriver à récuser toute cette psychanalyse qui ne nous intéresse plus beaucoup de nos jours évidemment, bien sûr. Et pourtant Lacan rend hommage à certaines de ces femmes, dans la mesure où certains points, quand même justement, peut-être des souffrances féminines, de la petite fille, ont quand même été observées par elles, ont été mal théorisées, très mal théorisées mais observées néanmoins.

Bon, voilà, simplement une petite note historique. C'est-à-dire que le problème effectivement, il est là depuis le début de la psychanalyse et d’une certaine manière effectivement, il n’a avancé que relativement. Bon, bien sûr, Lacan nous apporté les formules de la sexuation, bien sûr, mais il n’a avancé que relativement, justement. Et voilà, ce que je voulais peut-être ajouter ce soir, bon maintenant, beaucoup de points… Je vous suis totalement sur beaucoup de points, pour l’instant, il n’y a pas de… pour l’instant, voilà !

— Charles Melman : Ce rappel que vous faites de ce qui s’est passé dès le début de la part des analystes femmes, autour de Freud, constituera forcément, vous avez raison de le rappeler, constituera forcément un élément de notre étude. Autrement dit, vous serez invités telle ou tel d’entre vous qui se proposera, justement à suivre, comme l’évoquait à l’instant Marie-Charlotte, à suivre de quelle manière le débat s’est engagé dès le départ autour de Freud sur la sexualité féminine, et ce qui ont apporté ou pas et de quelle façon elles ont été entendues ou pas, les analystes femmes. Ce sera évidemment pour nous du plus grand intérêt puisque, comme nous le voyons, tout ceci n’a pas abouti. Donc, merci Marie-Charlotte de le rappeler.

Est-ce qu’avant de nous séparer ce soir, vous souhaitez une remarque ?

— Dans la salle, Mme… : Je voudrais bien vous demander quelque chose, concernant la remarque qui a été faite à propos de l’écriture, celui qui s’exerce à la lettre est dans une position féminine (et) plus rien. Alors je me disais, soit vous nous invitez à chercher, soit c’est Madame Cadeau, qui nous en dira plus. Juste quelques pistes ?

— Charles Melman : Écoutez, juste une, que je vous donnerai tout de suite, c’est ce qui introduit les Écrits, c'est-à-dire l’introduction  au Séminaire sur la lettre volée, et vous avez quelques lignes, un très, très joli passage, très surprenant quand vous lisez ça la première fois et sans comprendre, c’est pourquoi à partir du moment où Dupin détient cette lettre qu’il ne faudrait pas, n’est-ce pas, parce que tout ce conte est à entendre évidemment de façon métaphorique dans l’usage qu’en fait Lacan, pourquoi une fois que Dupin détient cette lettre qu’il ne faudrait pas, qui circule mais qui ne devrait pas être là, pourquoi il se trouve féminisé ? Alors, vous avez cette remarque incidente de Lacan à ce moment-là et ça peut servir pour la suite. Il aura d’autres remarques encore, plus tard, mais en tout cas, celle-là est inaugurale, puisqu’elle est en tête des Écrits qui sont eux-mêmes de l’écriture.

— Marie-Charlotte Cadeau : Et ça paraît évidemment très paradoxal parce qu’on dit volontiers, une…, d’écriture virile, alors, « féminisé » et d’une pratique d’une écriture virile. Vous-même vous aviez dit cela

— Charles Melman : Moi-même, j’ai dit ça, moi ?

— Marie-Charlotte Cadeau : Non, vous aviez parlé d’une écriture virile, oui, de l’écriture elle-même mais ça ne veut pas dire que celui qui la pratique n’est pas féminisé.

— Charles Melman : Ah, ça c’est certain.

Marie-Charlotte Cadeau : Voilà, ce n’est pas la même chose.

Charles Melman: Ça, c’est certain.

— Marie-Charlotte Cadeau : C’est ça, qui est paradoxal.

Charles Melman : Oui, sûrement.

— Dans la salle Mme… : Aux journées d’été, nous avons eu la conférence dÉriko Thibierge je crois, qui nous avait fait un exposé sur justement une écriture féminine, typiquement japonaise, puisqu’elle nous expliquait que les japonais avaient une écriture masculine, qui provenait du chinois et que eux, ils avaient crée une écriture typiquement japonaise, pour parler du féminin, que pour parler du féminin.

— Charles Melman  : Oui, effectivement, voyez, c’est une particularité, et comment dirais-je, si Ériko le permet, je raconterais cette anecdote, c'est-à-dire, qu’il se trouve que j’ai eu entre les mains un ouvrage japonais, écrit justement en caractères Kana, […], très joliment imprimé, c’est un bel objet, sans doute imprimé à la fin du XIXème ou quelque chose comme ça, et j’ai prié Ériko et Stéphane Thibierge – j’étais très, très intéressé de savoir de quoi cela pouvait parler – eh bien, cette écriture féminine, celle-là, en tout cas, il semble très difficile de savoir ce que ça signifie ; et d’ailleurs, le texte lui-même a déjà été semble-t-il travaillé et annoté par un premier lecteur japonais. Mais, nous n’en sommes pas encore à la conclusion. Vous voulez dire quelque chose là-dessus Ériko ?

Ériko  Thibierge: Pas pour le moment.

— Charles Melman : Mais c’est exact ce que je rapporte ?

— Ériko Thibierge: Oui, oui, tout a fait.

Charles Melman : C’est merveilleux ! Voilà, une écriture apparemment typiquement féminine, mais allez savoir ce qu’elle raconte. C’est chouette, mais enfin ce n’est pas toujours le cas, hein, je dis ça à propos de cet ouvrage bien sûr. Pascale, enfin vous vouliez aussi poser…

Pascale Bélot-Fourcade : C’était pour continuer un peu ce que disait Marie-Charlotte, c'est-à-dire que les analystes effectivement parlaient de la phase phallique, c'est à dire quand même quelque chose de commun, et il semblerait bien qu’il y ait un déplacement actuellement dans le traitement effectivement du genre où effectivement ce n’est plus quelque chose de commun qui pourrait se faire et de façon plus persécutive en quelque sorte, mais dans un autre espace. Enfin je veux dire, il y a là un travail intéressant, un déplacement dans ce traitement qui est effectivement un effet contemporain, mais qui pose effectivement comment ça se joue tout ça, enfin je pense.

— Marie-Charlotte Cadeau : Oui, il y a effectivement un fil qui se poursuit depuis les premiers débats, c’est ça qui est quand même assez frappant

Pascale Bélot-Fourcade : Ce n’est plus à la même place

Marie-Charlotte Cadeau : Mais ce n’est plus la même place

— Thibault : Vous n’avez pas du tout parlé de l’identification à la femme parce que (…) ça parle en tant que sujet divisé et qui peut s’identifier soit au père, soit à une figure masculine, soit à une figure féminine, ou bien une figure maternelle, et vous n’avez pas, c'est-à-dire que vous parlez de (…) de la position féminine, est-ce que vous supposez que d’emblée il y a une identification à la position féminine ? Ce n’est pas certain.

Charles Melman : Que d’emblée il y a ?

— Thibault : Une identification à la figure féminine ? Ce n’est pas certain du tout, il peut y avoir… Pourquoi est-ce qu’il ne pourrait pas y avoir d’autres identifications ? Et…

— Charles Melman : Vous avez absolument raison, je n’ai pas parlé de tout ça, et peut-être que nous aurons l’occasion, Thibault, d’y venir puisque c’est effectivement incontournable. Bien sûr, bien entendu, vous avez raison.

Eh bien, sur ces entrefaites, à bientôt donc.