J.Garrabé : Introduction à l’histoire des méthodes suggestives usuelles

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Extrait

15 novembre 2010

N’étant moi-même ni philosophe, ni historien, je vais me placer du point de vue du clinicien psychopathologue, et que j’ai pour cela un exemple remarquable : l’ouvrage que Louis-Florentin Calmeil (1798-1895)  a publié en 1845  sous le titre De la folie considérée sous le point de vue pathologique, philosophique, historique et judiciaire depuis la renaissance des sciences en Europe jusqu’à dix-neuvième siècle. On raccourcit ce long titre, comme on les aimait au milieu du XIXe siècle, en disant : De la folie de Calmeil. Mais je crois que ce titre est extrêmement intéressant parce qu’il montre bien que l’on ne peut étudier la folie que si l’on considère simultanément ces différents points de vue, c'est-à-dire qu’il faut voir en même temps l’aspect philosophique, pathologique, moral (en ce temps-là, ça veut dire : social) d’autant que  le titre continue par : Description des grandes épidémies de délire simple ou compliqué qui ont atteint les populations d’autrefois et régné dans les monastères. Je n’oublie rien d’autre du titre ? Si, c’est intéressant, la fin  : Exposé des condamnations auxquelles la folie méconnue a souvent donné lieu.

Vous voyez qu‘il va jusqu’à cet aspect médicolégal qui est un sujet tout à fait d’actualité, car l’on voit des aberrations de ce point de vue, comme des procès aux Assises d’inculpés considérés comme en état de démence au moment des faits.

Revenons, si vous le voulez, à Calmeil qu’il  faut peut-être  que je vous le  présente. Il est en 1845, d’après son ouvrage, docteur en médecine de la Faculté de Paris, médecin de la maison des Aliénés de Charenton, et a la Légion d’Honneur  Arrivé en 1820 comme étudiant en médecine dans le service de Philippe Pinel à la Salpêtrière, à l’époque donc du Pinel vieillissant, en fin de la carrière c’est néanmoins pour Calmeil une révélation, il décide de se consacrer à cette science médicale  nouvelle alors, qu’est l’aliénisme et sera carrière, ensuite nommé lui-même à Charenton, médecin chef. Il a soutenu sa thèse en 1824 sur De l’épilepsie étudiée sous le rapport de son siège et de son influence sur la production de l’aliénation mentale. Cette thèse aborde le problème de comment distinguer les crises convulsives qui sont dues à l’épilepsie, d’autres crises convulsives, dont on ne sait pas très bien à quoi elles sont dues, et ceci, évidemment en 1824  exclusivement sur la clinique, on ne peut faire ni électroencéphalogramme, ni IRM. Calmeil introduit dans sa thèse cette notion très intéressante d’ « absence épileptique », état de suspension de la conscience comparable à celui  qui se produit dans une crise d’épilepsie, mais qui en l’occurrence, apparaît sans convulsion motrice ;  après cette absence, le sujet reprend conscience. Se pose aussi la question de savoir si l’épilepsie peut produire l’aliénation mentale.

Et donc, ses recherches vont se prolonger jusqu’à la fin du XIXe  siècle, lorsqu’en 1878, Charcot qui avait jusque-là consacré ses travaux à la fondation de ce qu’ensuite on appellera la neurologie (les maladies du système nerveux central), se vit adjoindre à son service, à la suite d’une réorganisation de la Salpêtrière, le quartier des épileptiques simples.

Dans le service de Charcot, jusques là, il y avait jusque-là  surtout des femmes âgées atteintes de maladies chroniques, c'est ce qui lui a permis de décrire ce que l’on nomme depuis la neurologie, puisque ces pauvres femmes finissaient par vieillir et mourir à la Salpêtrière. Charcot qui était un anatomopathologue faisait l’autopsie, et donc découvrait les lésions anatomiques qui expliquaient les troubles neurologiques observés cliniquement.

Or, dans ce quartier des épileptiques simples, il y avait effectivement des malades qui étaient certainement des épileptiques, mais il y avait d’autres malades dont on ne savait pas très bien à quoi étaient dues leurs crises convulsives.

Et donc ceci, j’y reviendrai lorsque nous nous attaquerons – et j’espère que nous arriverons jusque là – à l’énorme problème de la querelle de l’hystérie, dont je donnerai une version un peu différente de celle qui est communément admise. Vous vous apercevrez d’ailleurs que convulsion va presque servir de fil rouge dans mes  propos pendant très longtemps avant et après Calmeil. Il faut peut-être dire,  dès à présent,  qu’à la Salpêtrière, l’état psychique de ces malades va être exploré à la fin du XIXe siècle  par hypnose, à la suite, bien entendu, de Pierre Janet.  Mais explorer l’état psychique des malades par hypnose n’est pas du tout du charlatanisme, comme a l’air de le croire un philosophe contemporain polygraphe qui a entrepris de démolir l’idole de Freud, et du coup de tous les médecins qui ont  fin XIXe  utilisé l’hypnose. Enfin, je pense que ça, il ne doit pas le savoir.