Ildevert Egue : La vie professionnelle d’un psychologue clinicien au Bénin

La psychologie scientifique s’est progressivement libérée de la philosophie, de la métaphysique et aussi de la religion pour devenir une science à part entière avec un objet propre et des méthodes spécifiques. Cette évolution s’est accompagnée de la reconnaissance de l’existence du fonctionnement du psychisme humain avec des formes et caractéristiques de l’espèce humaine et que les comportements humains ou interhumains ne sont pas aléatoires, indéterminables et imprévisibles. La psychologie s’est efforcée de comprendre le fonctionnement de l’être humain par le biais des données de la psychologie de la personnalité. Certains vont lier le comportement de l’homme au type morphologique. Pour les autres, la personnalité est envisagée comme fondée et enracinée dans la constitution à la fois physique et psychologique. Ainsi, on pourrait dire que la personnalité est psycho-physio-morphologique ou qu’une personne est un biopsychosocial.


Les êtres humains éprouvent fondamentalement les besoins psychologiques de base à savoir le besoin d’appartenance, le besoin d’estime, le besoin d’être aimé, le besoin d’être écouté et d’être protégé. L’insatisfaction de ces besoins de base entraine une carence, un déficit qui peut se traduire par une névrose, une maladie psychosomatique voire une psychose. Ainsi pour combler ce manque d’amour, de respect, de considération, d’écoute, de reconnaissance une personne peut entreprendre une psychothérapie ou un accompagnement psychologique.

 

Notre préoccupation en qualité de psychologue clinicien et de psychothérapeute est de reconnaitre la personne souffrante dans sa complexité et non uniquement à travers le dysfonctionnement de ses organes. En ce sens, nous somme curieux de comprendre le fonctionnement du psychisme en tant qu’un processus complexe, invisible et apanage de Dieu et d’accompagner toute personne en détresse, car,  « Accompagner quelqu’un, ce n’est pas le précéder, lui indiquer la route lui imposer un itinéraire ni même connaître la direction qu’il va prendre. C’est marcher à ses côtés en le laissant libre de choisir son chemin et le rythmer de son pas. » (VESPIEREN: Face à celui qui meurt - PARIS - Desclée de Brouwer) 

 

Formé à l’université « Saint Ockridski» Sofia Bulgarie, le jeune psychologue rentre tout fier dans son pays pour appliquer les acquis de sa formation.
Du retour au pays nous avions commencé l’exercice de notre fonction au Centre National Hospitalier et Universitaire (CNHU-KHM) de Cotonou dans le service de la psychiatrie.

Dans sa fonction, le psychologue applique la thérapie verbale et non médicamenteuse à ces patients. Les collègues psychiatres prescrivent des médicaments et les patients ne comprendraient pas de repartir de chez un médecin  les mains vides.
Au début de ses consultations il n’arrive pas à mieux cerner la mentalité des patients lesquels attendent de lui une ordonnance avant de partir, parce que ces derniers ignorent qu’ils peuvent être aussi traités sans médicaments. Les patients consultés ne répondent plus au rendez-vous pour la suite de l’accompagnement psychologique. Ils disent pourquoi donner de l’argent juste pour être écoutés. Notre psychologue souffre énormément du non-respect de ses rendez-vous de contrôle et commence par s’auto-culpabiliser. S’il n’avait pas subi des séances de psychanalyse et de psychothérapie lors de sa formation,  il allait faire  une dépression. Les psychiatres aussi ont du mal à passer la main après la prescription de leurs psychotropes. Ils veulent ou tentent de pratiquer les psychothérapies sous ces différentes formes mais ils sont trop médicalisés.

Associé avec un médecin et une infirmière, le psychologue ose ouvrir une clinique pour une prise en charge globale. Grâce à cette clinique et aux différents cours que le psychologue donne dans les universités du Bénin, la psychologie commence par être prise en compte dans la mentalité de certains Béninois qui pour la plupart ne savaient pas ce qu’est la psychologie.

A partir de ce moment et selon l’approche systémique, le psychologue considère la famille analogiquement comme un système ouvert, en état d’équilibre et les symptômes à ces rétroactions négatives. Les comportements symptomatiques des patients sont alors décrits comme des tentatives de protection d’un ensemble familial trop peu flexible pour supporter le changement. La famille est ainsi perçue comme un système relationnel qui a une organisation, une structure, faites de triangle, de rôles, de règles, de buts et de finalités. Ce lien entre les différents membres d’une famille favorise la prise en charge psychologique d’un des membres de la famille souffrant d’une maladie mentale, car dans la psychopathologie des relations familiales, les symptômes de l’un des membres de la famille ou du couple sont envisagés en rapport donc avec la souffrance de tous. A cet instant, ce n’est plus donc un sujet qui est malade, mais la famille en tant qu’entité.

Le diagnostic des pathologies mentales de nos patients se fait à travers un examen psychologique. Premièrement, nous recherchons les signes et les symptômes qui doivent être directement observables. Nous essayons de voir à ce niveau le problème du patient et l’adéquation de sa réaction à l’environnement.

Deuxièmement, nous essayons de voir si les signes observables signalent une désorganisation, un dysfonctionnement, une pathologie.

Et enfin, nous voyons le pourquoi et la cause de ce dysfonctionnement.

Des techniques et des instruments nous sont nécessaires pour la réalisation de l’examen psychologique. Nous utilisons prioritairement les méthodes d’observation, l’entretien et les tests mentaux.

La prise en charge de nos patients se fait généralement à travers la psychothérapie sous ces différentes formes. Nous faisons  très souvent recours à la thérapie cognitivo- comportementale surtout dans les cas des phobies et les autres types de névroses. La méthode de placebo, la relaxation sont utilisées pour une bonne prise en charge de la névrose anxieuse et obsessionnelle.

Dans la formation de la personnalité se met en place des éléments qui assurent d’une certaine manière la stabilité et l’identité de l’homme. Ce sont des mécanismes de conservation qui font qu’une personne n’est pas tout le temps changeante. Il se crée ainsi des liens entre la pensée, l’histoire du sujet et les expériences fondamentales de l’individu. Ce sont ces liens qui assurent la stabilité tout en laissant le sujet jouir d’une certaine créativité.

C’est ainsi que quand nous faisons une investigation clinique, nous pouvons utiliser les épreuves dites de conservation, des jeux associatifs, des dessins, etc. pour repérer la présence, la qualité et la nature des invariants affectifs, cognitifs, des mouvements d’autonomisation et d’implication relationnelle et d’anéantissement. 

Il s’agit plus explicitement d’évaluer la relation entre le client et son thérapeute, d’analyser le type de conflits qui naissent du dialogue thérapeutique. Cette évaluation portera également sur la polyvalence des signifiants et les changements intervenus dans leur signification. Le clinicien va également évaluer la capacité du sujet de dépasser les conflits, le statut particulier de l’acquisition de notions de conservation et d’identité par rapport à celles du domaine notionnel.

Nous avons vu que ce temps est celui d’un combat qui passe par des chemins détournés, des étapes nécessaires vers un apaisement possible. Le psychothérapeute ne reste pas indifférent à un tel itinéraire, c’est tout d’abord une relation d’aide qu’il va mettre en place, une présence accueillante qui rende possible la prise de parole du patient.

Il s’agit d’un travail sur l’être qui aide le patient à atteindre sa propre vérité: il ne vise pas à transmettre un savoir, il tente d’éviter le jugement, l’évaluation et l’interprétation, il aide le patient à exprimer son vécu actuel; tout peut se dire. Il peut reformuler les paroles du patient pour préciser une pensée ou clarifier une situation, le patient peut alors être amené à prendre du recul, à nommer ses sentiments, à faire la vérité sur lui-même. Cette expérience devient alors pour lui sécurisante et libératrice.

Beaucoup plus inspiré par l’approche comportementale ou behaviorisme, nous partons de l’hypothèse que nos réactions sont dues par des stimuli venant du milieu, et en particulier stimulus et réaction doivent être objectivement observables. Cependant, rapidement nous nous sommes butés à des difficultés d’identification des causes des troubles mentaux de nos patients lesquels préfèrent que nous leurs disions qu'il s’agit de l’envoûtement, de maraboutage et non d’un dysfonctionnement organique ou autres causes objectivement observables.

Ce qui nous amène à appliquer les théories des représentations sociales pour la compréhension et les interprétations des troubles mentaux de nos patients.

Motivé par la recherche, nous faisons une thèse de doctorat unique sur le thème intitulé « Représentations sociales de l’infertilité humaine chez le Béninois. Etude réalisée à Cotonou ». Sous la direction du professeur titulaire YAPO Yapi de l’Université d’Abidjan Côte-d’Ivoire.

Nos interventions dans le milieu carcéral en qualité d’expert en psychologie, agréé par la Cour d’Appel nous permettent de rencontrer divers cas de figures: viol, association des malfaiteurs, meurtre, parricide, assassinats, vol d’enfants et aussi les pratiques de sorcellerie ou charlatanisme. Notre rôle est de voir si l’inculpé est conscient et s’il a agi en conséquence au moment des faits.

Nos premières rencontres avec les personnes inculpées pour la sorcellerie n’est pas sans peur, car c’est un domaine du mysticisme, de spiritualisme, de la métaphysique où nos connaissances scientifiques d’origine Européenne rencontrent leurs limites. Imaginez-vous devant une dame âgée de 58 ans inculpée pour la sorcellerie qui vous dit sans réticence « j’ai tué son enfant ». Et en voulant comprendre comment a-t-elle tué cet enfant,  elle vous répond je l’ai transformé en mouton à partir juste d’une parole. Avant de nous demander si elle délirait ou elle a des hallucinations notre rythme cardiaque s’est accéléré, il nous a fallu d’utiliser les techniques de relaxation afin de reprendre notre esprit et notre état d’âme face à cette dame.

La psychologie est une science qui a beaucoup de chemins à faire au Bénin. Mais il faut que nous spécialistes qui avions choisi avec amour et passion cette discipline, nous arrivions à nous insérer dans notre milieu socioculturel afin de voir comment nous pourrons collaborer avec nos guérisseurs, nos tradi praticiens qui parfois prennent mieux en charge les maladies mentales. Ces thérapeutes sont sollicités par les urbains en raison de leur dynamisme et de leur omniprésence, des imaginaires populaires qui leur sont favorables et de la singularité de leurs pratiques professionnelles.

Pour comprendre cette prise en charge clinique et la perception que d’autres personnes se font au regard de la culture, nous nous référons à la théorie de la pathogénie africaine de Ibrahim SOW (1987).

Certaines difficultés telles que la validation et la standardisation des tests mentaux utilisés chez nous sont indispensables à signaler. Nous envisageons dans ce sens former une équipe de jeunes psychologues avec lesquels nous allons tenter de valider certains tests mentaux en tenant compte dans notre contexte socioculturel.
La grande difficulté se trouve au niveau de la réinsertion sociale de nos patients, lesquels sont parfois rejetés par les membres de la famille parce que la folie est considérée comme une maladie honteuse et sa prise en charge est couteuse. Nous n’avons pas une assurance qui couvre les frais de la prise en charge des maladies mentales.(???)Il est important de signaler que l’avènement des nouvelles religions et le grand nombre des églises de la place récupèrent plusieurs malades mentaux.(???)Nous notons sur le marché les spécialistes d’exorcisme qui prétendent désenvouter des personnes possédées par de mauvais esprits.

Nos journées d’échanges animés par les psychologues Européens venant au Bénin nous permettent de nous rechausser dans la prise en charge de nos patients et de faire comprendre aux psychologues qu’ils doivent se prendre en charge afin de valoriser et de faire la promotion de leur profession qui est la psychologie clinique.

 

Conclusion

Comme tout accompagnement, toute relation d’aide, toute intervention d’assistance, son succès ne dépend pas uniquement des techniques et du professionnalisme mis en œuvre, mais beaucoup plus de la personnalité de notre psychologue Pour être bien reçue, l’aide doit être offerte dans le respect de l’autre. Elle doit aussi assurer la liberté du bénéficiaire de la refuser. Notre psychologue, formé à Sofia en Bulgarie, est doué d’empathie et d’expériences pour conduire la prise en charge des personnes en détresse. Grâce à la technique d’écoute, il comprend un enfant ou un adulte. Cette compréhension lui permet de mettre en place des interventions permettant  de résoudre les difficultés de la personne. Il dispose des principes et des habiletés permettant de réussir cette activité d’écoute.  

 

Ildevert EGUE