M.Prouheze : Déontologie de la prise en charge en addictologie

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Cours du 17 mars 2014

 

J’avais envie d’intituler mon propos : « Ethique et bonnes pratiques » ; ces deux termes me paraissent parfois s’opposer dans notre pratique...

 

Pour parler de déontologie, on oppose la pratique du médecin avec la demande du patient, et c’est souvent dans cette rencontre un peu particulière que la déontologie prend tout son sens et on voit parfois la difficulté entre  les bonnes pratiques normées par l’HAS par exemple et la déontologie de notre pratique...

Quand on parlait de déontologie, on parlait du sevrage. Depuis la réunion des tabacologues, des alcoologues, et des intervenants en toxicomanie…

Ça a apporté une réflexion totalement nouvelle : la réduction des risques c'est à dire, partir du principe que le patient est toujours consommateur du produit, mais nous allons limiter les risques de sa consommation. La plupart des patients toxicomanes substitués n’ont pas du tout fait le deuil de leur pratique addictive,  et ils sont toujours très embêtés du syndrome de manque. Donc ils utilisent dans un premier temps le traitement de substitution du lundi au vendredi. Et le week-end « se shooter un peu d’héroïne c’est quand même sympa ».  Est ce bien moral cette affaire là, c'est à dire est ce qu’on a le droit de jouir sans se faire du mal ? C’est une grande question qui a balayé beaucoup l’addictologie. C’est quand même un concept tout nouveau....

Le nouveau système de réduction des risques est la consommation contrôlée :  vous avez de nombreux protocoles cognitivistes, d’éducation thérapeutique, vous devez tout noter, quasiment obsessionaliser votre consommation, et je pense que ça doit être psychiquement très dur d’être en consommation contrôlée.

Et maintenant arrive cette réduction des risques avec des médicaments miracles,  ils seront d’autant plus miraculeux qu’ils ne seront pas dans le domaine public et qu’ils rapporteront aux laboratoires...

Que viennent nous demander les patients ? Parce qu’en réalité c’est ça la question, et je crois qu’on la perd de vue.

Depuis que je travaille en addictologie, je crois que je n’ai eu aucune demande spontanée, je crois que je n’ai eu que des demandes sur injonction...

Les gens sont dans le déni de l’injonction, la plupart du temps ils vous disent : je viens parce que j’ai envie de venir. Et il faut passer quasiment le premier entretien pour essayer de trouver où est l’injonction. Est ce que c’est très déontologique de commencer un traitement alors que vous savez que la personne en face vous fait une fausse demande. Est ce que nous devons adhérer à la fausse demande du patient ? Je ne sais pas, c’est une grande question... : peut-être qu'il y tient à cette fausse demande,  peut-être que cette fausse demande le tient.

Pour moi, la chose importante, c’est la place de l’addiction dans l’économie psychique du patient. En général, je ne travaille que ça, et je dirais même plus, dans l’équilibre psychique du patient. Quand il vient vous voir, cet équilibre a été rompu. Mais est ce qu’il a été vraiment rompu par rapport à la personne ou est ce qu’il a été rompu par rapport à la société ? Le patient peut avoir encore la perception d'un bénéfice ; mais la société, sa femme, son bouleau, la justice lui disent  il faut arrêter le produit. 

Le patient énonce ce qu’il pense que vous avez envie d’entendre, puisque vous êtes l’arrêteur de produit. C’est compliqué pour le patient de dire de lui même : écoutez je viens vous voir, mais je ne veux pas arrêter, ma femme s’est tirée, j’ai paumé mon boulot, mais moi je ne veux pas arrêter. Lui, il vous dit qu’il veut arrêter puisqu’il est là pour arrêter. Donc je ne dis pas qu’il faut dire au patient de continuer, il ne faut pas exagérer la chose, mais il faut quand même rester, et ça quand on parle de déontologie, rester sur le fait que ce produit là il est rentré dans la vie du patient à un moment de sa vie, qu’il est venu très probablement combler des choses.

Donc on s’aperçoit qu’on est souvent dans des intrications dans cette discipline, entre culture globale des patients, nos bonnes pratiques et finalement ce que désire vraiment le patient.

 Le mot « maladies » était bien dans un premier temps. Est ce que maintenant le fait de parler de maladie addictive, on ne s’y enferme pas et dans les questions de déontologie, est ce qu’on ne perd pas de vue le patient ?

Fouquet avait mis trois cases d’alcooliques, mais moi j’ai autant de cases que de patients, alors pour faire une classification, c’est compliqué. Donc est ce que finalement derrière la conduite addictive, derrière le mode de fonctionnement du produit, est ce qu’on n’enferme pas le patient ?

Les bonnes pratiques qu’on nous enseigne, c’est comment faire pour que cette personne se détache de cette addiction ? Effectivement la plupart du temps, sur le plan somatique c’est bénéfique de se détacher de l’addiction.

Dire que l’abstinence est nécessaire et suffisante, je n’y crois pas du tout. Et hélas, dans notre pratique, de plus en plus avec ce qu’on appelle les thérapies brèves, avec les systèmes d’évaluation très rapides, avec le patient c’est : abstinent, circulez, il n’y a rien à voir. Et nous on nous demande d’initier les patients à des traitements de substitution, de les passer chez le médecin de ville.

Avec cette politique de turn-over et d’orientation qu’on voit aussi poindre en psychiatrie, maintenant un schizophrène, « un petit coup de neuroleptique », « un petit coup d’évaluation » et c’est le médecin généraliste qui va continuer la prescription. J’ai de grandes craintes qu’on passe à côté de choses et qu’on ait le retour du bâton quelques années après.

Finalement la problématique qui les avait conduit à consommer et à trouver quelque part une amélioration dans leur consommation de produits opiacés, n’a pas été du tout travaillée. Pourquoi elle n’a pas du tout été travaillée ? Parce que ce sont des patients qui étaient suivi en psychiatrie ou en centre de soins, parce que la demande énoncée était une demande de sevrage....ils vont vous énoncer ce qu’ils pensent que la société veut qu’elles énoncent....

C’est très compliqué : est-ce qu’on veut faire parler des patients sur une problématique alors qu’ils font tout pour éviter d’en parler en prenant des produits ? Eux leur but, c’est de prendre des produits, pour camoufler tout ça. Ça c’est un peu la dissension qu’on a entre certaines structures comme la mienne qui est là-dessus, et sur d’autres qui en sont encore à non c’est la conduite addictive, neurobiologique, les patients ont trop stimulé leurs récepteurs, mais moi je dis : d’accord, ils ont trop stimulé leurs récepteurs, la conduite addictive existe, mais pourquoi au départ ils ont voulu ? Avant d’être addicts, avant d’être dépendants, ils ne l’étaient pas. Pourquoi ont ils voulu absolument aller stimuler ces récepteurs, pourquoi ils ont voulu se camisoler, pourquoi ils ont voulu ne plus se regarder eux mêmes sans filtre ?