M-C.Cadeau : Psychopathologie familiale et sexuation

Conférencier: 

EPhEP, MT1 - ES2.3  Module 1

3 novembre 2014

 

……… Mais donc ces formulations que je vous rappelle et que l’on trouve dans les treize, quatorze premières années du séminaire de Lacan (un homme n’est pas sans l’avoir et une femme n’est pas sans l’être ) ne lui paraîtront pas assez précises car il s’agit pour lui de dégager rigoureusement les impasses auxquelles se heurtent les parlêtres. Cette guerre, ces tensions entre les positions sexuées qui résultent – vous avez déjà entendu la formule – d’une impossibilité du rapport sexuel, rapport justement entre l’être et l’avoir. Impossibilité du rapport sexuel où, s’il existait, un homme pourrait jouir du corps d’une femme et réciproquement. Ce qui y fait obstacle, pour le parlêtre, c’est le phallus, et l’objet a cause du désir dont je ne parlerai pas beaucoup ce soir. Je vais essentiellement parler du phallus puisque c’est lui qui est à l’œuvre dans la sexuation. Il s’agirait donc pour Lacan d’écrire rigoureusement à quoi les structures du langage contraignent les corps sexués. Donc écrire le semblant ou ce qui tient lieu de jouissance sexuelle pour les parlêtres, c’est-à-dire ce qu’il appellera, non pas la jouissance sexuelle, mais la jouissance phallique. Nous avons affaire à la jouissance phallique et non pas à ce qui serait au sens strict du terme la jouissance sexuelle.

Lacan s’engage donc à partir du séminaire D’un discours qui ne serait pas du semblant, dans un processus logico-mathématique. Ce faisant, il s’inscrit dans une visée scientifique, dans la lignée de Freud – vous  savez que Freud voulait que la psychanalyse soit une science – ici, je dis bien « visée scientifique ». Pourquoi ? Parce que l’inconscient est une combinatoire d’éléments asémantiques, c’est-à-dire des lettres, des fragments de signifiants, dont chacun des éléments refoulés, commémore une jouissance refoulée, un traumatisme, une pulsion, etc. Mais c’est une combinatoire. Pour Lacan néanmoins, et je crois que Charles Melman vous l’a rappelé dans sa séance inaugurale cette année, il ne s’agit pas de faire de la psychanalyse une science puisque la science forclôt le sujet. La psychanalyse doit néanmoins, nous dira Lacan, s’appareiller de la logique. Pourquoi ? Parce que le travail de l’analyste dans l’écoute de ses patients est de repérer la faille par où se cerne le désir qui n’est, comme vous le savez, jamais énoncé comme tel. L’inconscient ne parle jamais en direct. Seule la logique peut serrer cette faille dans le dire. Il y a, dira Lacan dans le séminaire D’un Autre à l’autre (le Séminaire, livre 16) homologie entre les failles de la logique et celle de la structure du désir. Donc, homologie puisque le désir humain est lié à ce manque, à cette faille du langage. Mais si la logique mathématique est l’élaboration la plus poussée de la signifiance, il ne s’agit pas de perdre de vue, nous rappellera toujours aussi Lacan, la vérité de la jouissance, autrement dit, pas de mathématisation de la psychanalyse mais, encore une fois, se servir du logico-mathématique pour dégager le réel de la structure de la signifiance qui gouverne notre sexuation et notre sexualité. Les mathèmes, notamment les mathèmes de la sexuation, ou les formules de la sexuation, sont des écritures d’allure algébrique rendant compte des concepts clés et ayant pour fonction la transmission du savoir posé en terme de structure. Ce sont des ponts avec la science mais ils ne constituent pas des formalisations intégrales dans le sens où ils supposent un reste ; donc ils sont toujours en lien avec un savoir pulsionnel inconscient. Vous voyez, la position de Lacan est très nuancée, il s’agit bien de se servir le plus possible de logico-mathématique mais c’est néanmoins l’inconscient et la clinique, la question de la jouissance, qui demeurent notre fil et donc aussi  la question du sujet.

Alors, en ce qui concerne le phallus et la question phallique, Lacan va nous mener du mythe à la structure, du signifiant phallique à la fonction phallique. Cliniquement, l’accent va se déplacer aussi dans le cours de son élaboration de la question du désir à celle de la jouissance car une difficulté majeure, un impensé, on peut dire, de la pensée occidentale, de la philosophie, de la théologie, et on peut dire aussi, jusqu’à Lacan, de la psychanalyse c’est : la question de la jouissance féminine. Evidemment, corrélativement, la difficulté à penser une position féminine différente de la position masculine et de la position hystérique……….

 

Ce voilement-dévoilement du morceau de bois ou de cuir représentant le phallus dans les Mystères signifie pour Lacan que le symbole est élevé au rang de signifiant, passage du symbole ou signifiant. Soit quoi ? Ce que nous voyons d’abord, c’est que l’élévation du phallos au rang de signifiant phallique déchaîne la violence …..

C’est que le phallus n’est pas un signifiant comme les autres. Si sa forme objectale empreinte à la poussée vitale du pénis, le passage au signifiant comporte toujours une mortification qui dans le rituel est symbolisée par le voile ….. De quoi s’agit-il ? Prenons n’importe quel signifiant : nous savons qu’un signifiant ne saisit aucun objet, c’est bien ce qui caractérise le langage. Par exemple Mallarmé écrit : « Je dis : une fleur ! Et, hors de l’oubli où ma voix relègue aucun contour, en tant que quelque chose d’autre que les calices sus, musicalement se lève, idée même et suave, l’absente de tous bouquets » personne n’a jamais vu « la fleur ». Mais pour tenter d’approcher l’essence, l’être de la fleur, ce qu’on appelle aussi son signifié, pour l’approcher avec le langage, j’utiliserais d’autres signifiants. Je vais décrire la fleur, je vais faire de la botanique, j’ai toutes sortes de moyens mais l’être de la fleur, du signifiant fleur, manquera toujours, il sera toujours raté. L’être de la fleur manquera……..

Nous arrivons là à un point logique très important pour que vous saisissiez ce qu’est le phallus, ce qu’est le signifiant phallique : c’est au départ l’écart entre l’insaisissable de l’être ou l’essence de la chose, et ce que la parole, donc le symbolique, le signifiant, en dit. Il y a un écart, il y a un trou, une faille. Nous sommes constamment, lorsqu’on essaie de s’expliquer en train de buter. Cet écart, cette faille, c’est cela le phallus. Le signifiant phallique désigne donc ce qui manque, le ratage de tous les signifiants à saisir leur objet……

Pour le dire autrement, il devient le signifiant du manque dans le grand Autre, donc dans le lieu du langage.

 

Grand A, lieu du langage est évidemment troué puisque tous les signifiants ratent leur objet. Donc le manque dans l’Autre – vous avez entendu et vous entendrez souvent cette expression – le signifiant du manque dans l’Autre dit cette faille du système du langage, faille heureuse qui nous permet de parler, de faire des métaphores et des métonymies…

Donc ce signifiant du manque dans l’Autre c’est aussi le signifiant du désir de l’Autre ; c’est synonyme. Le désir est un manque.

Alors là vous allez tout de suite comprendre, d’abord parce que c’est la mère, figure première du grand Autre, mais cette fois-ci réel. La mère c’est le premier grand Autre réel qui est d’abord toute puissante et qui va être à un moment, le même moment dont nous parlions tout à l’heure, ce soudain, qui va être perçue comme castrée ; plus exactement, il faudrait dire châtrée car la castration, c’est autre chose. C’est la mère qui est d’abord perçue comme telle aussi bien par le garçon que par la fille. Et la signification qu’elle va donner à son propre manque, la mère, soit donc à son désir, est déterminante pour l’enfant. Car l’enfant fait alors l’expérience du manque qui lui permet d’accéder à la parole.

Il faut souligner que la signification que la mère va donner à son propre manque pour l’enfant, et que celui-ci va aussi interpréter, car l’enfant interprète aussi, c’est dans le meilleur des cas celui d’une jouissance à espérer. Pourquoi ? Parce que, comme vous le savez, la mère si elle désire, elle cherche un objet, et dans le meilleur des cas, traditionnel chez le père : l’organe du père élevé au rang de phallus.

Si je vous répète cela que vous connaissez bien, c’est pour que vous saisissiez le passage que je suis en train de faire entre le signifiant du manque, qui est le phallus à sa positivation en : jouissance à espérer…..

Il faut bien saisir que néanmoins le signifiant phallique est logique avant d’être sexuel. Il désigne d’abord le ratage qui frappe tous les signifiants. Vous entendez : « tous les », « le ratage qui frappe tous les signifiants ». C’est donc la marque de l’universel ! Quand on dit « tous les » c’est donc qu’on parle au nom de l’univers …..

Le fait que ce phallus désigne le ratage de tous les signifiants va avoir cet effet, de positiver le signifiant phallique qui va devenir le référent de tous les autres signifiants. C’est là le tour de passe-passe logique dont on ne s’aperçoit pas, mais qu’il faut bien décrypter. Il est le signifiant du manque de tous les signifiants donc il devient le référent de tous les signifiants. On ne le nomme pas dans la langue ordinaire, néanmoins il devient le noyau caché de toute langue qui ne saisit jamais l’être des choses, mais auquel ce phallus, ce noyau caché, tous les autres signifiants se réfèrent. C’est ce que vous trouverez explicité dans un article célèbre des Écrits de Lacan qui s’appelle La Bedeutund des phallus « La signification phallique ».

La signification phallique de tous les signifiants, tous les signifiants se réfèrent au phallus, donc pour le dire simplement, un sens sexuel à chaque signifiant ; et bien sûr les psychanalystes en jouent beaucoup…..