C.Landman : Introduction à la psychopathologie de la vie collective - Leçon 4

Conférencier: 

EPhEP, Cours magistral du module 1 - leçon 4, 10 novembre 2014    

……L’unité libidinale de la masse, a pour conséquence l’exclusion et l’intolérance de tous ceux qui n’y appartiennent pas. Je vous rappelle les caractéristiques principales qui font l’unité de la masse :

  1. L’amour effectif de tous ceux qui en font partie adressé au chef qui est mis à la place de leur Idéal du Moi ;
  2. La prévalence du mirage, de l’illusion, ainsi que s’exprime Freud, que le chef aime d’un amour égal tous ceux qui composent la masse ;
  3. L’identification réciproque du Moi de chaque participant de la masse ….

Je vous rappelais, lors de l’une de nos précédentes rencontres de travail, que les pionniers de la psychologie sociale, de la psychologie des masses, Le Bon et Tarde en particulier, se contentaient d’une analyse descriptive, souvent intéressante et pertinente au demeurant, du phénomène de la constitution des masses et de ses diverses et multiples conséquences. Pour ce qui concerne l’explication du dit phénomène, ils s’en remettaient au concept de suggestion qu’ils laissaient lui-même inexpliqué dans la mesure où il renvoyait selon eux, à une propriété naturelle du fonctionnement social et politique. Et c’est sur ce point, vous disais-je, que Freud a non seulement innové par rapport à ses prédécesseurs et à ses contemporains, mais a ouvert des perspectives concernant la structure du lien social et politique, reprises et poursuivies par Lacan, dont nous allons continuer à mesurer ensemble à quel point elles sont actuelles.

Comment Freud a-t-il procédé ? En appliquant  à la psychologie des masses ce que lui avait enseigné la pratique de la psychanalyse. Enseignement qui est susceptible de se résumer en une simple phrase : la structure des masses, quelles qu’elles soient, spontanées ou organisées, artificielles, avec ou sans meneur, la structure des masses est constituée par le lien libidinal qui unit entre eux ceux qui y participent.

Quelle définition Freud donne-t-il de la libido ? Je cite, c’est à la page 83 :
Libido est un terme qui vient de la théorie de l’affectivité.
Je préciserai un peu plus loin ce qu’il convient d’entendre exactement, à partir de ce que Lacan nous apporte, sous  ce terme d’affect qui peut nous paraître flou. Je poursuis la citation :
Ce que nous appelons ainsi est l’énergie considérée d’un point de vue quantitatif – même si nous sommes incapables de la mesurer – des pulsions qui ont affaire avec tout ce qu’on peut réunir sous le terme d’amour.

C’est par exemple sur ce point que nous distinguons ce qui relève d’un point de vue scientifique, la libido considérée d’un point de vue quantitatif, de l’énergie dans les formules de la thermodynamique qui ne relèvent plus de la dimension du point de vue mais d’une écriture scientifique confirmée, validée par l’expérience…..

…..Freud ira même plus loin, puisqu’il consacrera un chapitre de son livre, le 10ème, intitulé La masse et la horde primitive, dans lequel il explique, à partir d’une perspective historique et phylogénétique, que la pulsion sociale prend son origine dans la première famille qu’a connue selon lui l’humanité. Celle de la horde primitive, dont la structure particulière et le mythe scientifique qui s’y attache, le meurtre du Père de cette horde, constituent, ainsi que nous le verrons, la matrice de toutes les masses organisées susceptibles de se constituer. Nous reprendrons la prochaine fois la question de savoir pourquoi Freud tenait tellement à son mythe scientifique du meurtre du Père de la horde primitive, au demeurant si problématique sur le plan anthropologique. Et nous verrons, en revenant sur le schéma de la structure libidinale de la masse déjà commenté, que ce mythe vient à la place de ce que Lacan a appelé la catégorie du Réel, ne serait-ce que parce que le fait que le Père de la horde possède toutes les femmes, relève de la dimension de l’impossible.