Julien Maucade : Horreur des guerres et mélancolie

 

 

 

 

Dire un bout sur le réel

Nouvelles technologies

Nouvelles jouissances

Époque inédite

Suppression du sujet

Production du 1-Dividu

Deuil-Mélancolie, la douleur d’exister à l’état pur et le désir.

La mélancolie, une passion de l’être

 

1. Réel et technologie

2. Un

3. Mélancolie

1- Union fanatique

2- L’horreur du Réel

3- Y a d’l’Un et rien d’autre

4- L@Science

5- L’Un-tégrisme

6- La mourre

7- Désêtre

8- 1-Dividu

9- Unarités

 

 

 

Nouvelles technologies

Nous y voilà enfin. Le projet de cette Journée à l’initiative de Christine Durea-Tea et d’Anne Videau aurait dû se réaliser en mai 2020 sur le thème de la radicalisation, à quoi je préfère fanatisme. Elle venait en référence au livre où je relate mon expérience clinique avec des détenus radicalisés.

Puissance et technologies

Je ne veux pas être alarmiste en ce qui concerne la gravité de l’actualité. Par « horreur », j’ai voulu dire le réel de l’événement. Vous suivez les médias sur ce qui se passe en ce moment de l’horreur de la guerre. Vous avez remarqué qu’il s’agissait beaucoup de puissance, et il ne passe pas un jour sans que les médias ne relatent les dangers d’une troisième guerre mondiale, et comme dirait l’autre : « Je ne sais pas comment sera la troisième guerre mondiale mais ce dont je suis sûr, c´est que la quatrième guerre mondiale se résoudra à coups de bâtons et de silex. ».

Il s’agit de puissance, de la puissance des armes des nouvelles technologies. Est-ce que cette guerre aurait pu avoir lieu s’il n’y avait pas cette croyance en la supériorité technologique des armes, de la force militaire due à ces nouvelles technologies et à l’intelligence artificielle.

Époque inédite

Cette progression des technologies fait de notre époque une époque inédite dans l’histoire de l’humanité. Il y a eu dans l’Histoire des déclins et chutes d’empires ; des événements qui ont causé des altérations dans l’organisation du monde, qui se sont étendues sur des années. Notre actualité est marquée par ces altérations qui agissent simultanément au niveau social-collectif et au niveau du moi du sujet.

Cette concordance dans les effets au niveau collectif et moïque se constate dans la clinique et est une particularité de notre actualité. C’est l’essentiel de mon propos : ce qui détermine la psychologie collective correspond à l’analyse du moi dans sa constitution. Époque inédite dans l’histoire de l’humanité en ce que L@Science (en un seul mot L majuscule, arobase, S majuscule, science) se manifeste dans ses effets de suppression du sujet ; et comme dirait l’autre, encore : « Science sans conscience n'est que ruine de l'âme ». Les sciences des technologies et du Tout-économie sont une pièce majeure de la globalisation. L@Science globalise les effets au niveau collectif et au niveau du moi du sujet, ce qui a ses effets sur le social et sur la pratique psychanalytique. « L'inconscient, c'est le social », ce qui pose la question de la jouissance d’un réel dans nos sociétés démocratiques, libérales, égalitaires et individualistes, sexuellement désinhibées ; ce qui met la psychanalyse au défi d’en dire ou de pouvoir en dire un bout sur le réel sociétal et subjectif.

Réel

Il y a un rapport des nouvelles technologies au symptôme. Nous savons depuis Lacan que le sens du symptôme dépend de l’avenir du réel, par conséquent de la réussite du discours de la psychanalyse. Dans notre actualité, nous pouvons nous attendre à un retour de la religion et de son acolyte, la spiritualité altérée en spiritualisme. La religion n’a pas l’air de dépérir ; elle n’est pas folle, la religion a la peau dure.

Dans la religion, tous les espoirs sont bons, voire elle les sanctifie. Elle autorise tous les espoirs. Dans la religion, c’est ce qui est annoncé qui vaut comme vérité. Il y a beaucoup de vérités dans la religion.

L’expérience psychanalytique montre que la cure, elle, n’a pas de bonnes nouvelles à annoncer. La psychanalyse vise au réel et à son savoir, qui n’est pas en retour sans effet de vérité. L’effet du discours psychanalytique introduit le hors-sens. Le réel, c’est strictement ce qui n’a pas de sens ; un sens naît du non-sens. Ce n’est pas sans effets de vérité et c’est le destin de la vérité, la vérité s’oublie. Tout dépend donc de si le réel insiste. L’actualité montre qu’il n’est pas près d’arrêter d’insister. C’est du réel dont dépend l’analyste au moment où je vous parle et pour les années à venir et pas le contraire. L’analyste a pour mission de contrer l’avènement du réel ; reste à déterminer les modalités d’une telle tâche. Non seulement le réel insiste mais l’actualité montre « qu’il prend le mors aux dents », surtout de ce qu’il a l’appui du discours de L@Science et de ses productions de nouvelles technologies. Le réel insiste, la méconnaissance de cette « banalité » ne peut que mener à la passion de l’ignorance. Que peut dire la psychanalyse face à un réel transitionnel, sur une échelle où à une extrémité se situe la géopolitique - notre actualité – jusqu’au niveau social immédiat de la psychopathologie de la vie quotidienne avec la progression de l’antisémitisme et la ségrégation par l’altération du Moi moderne. S’ouvrent à nous de nouvelles modalités de refoulement et de jouissances. L’expérience psychanalytique montre l’oblitération du refoulement qui devient inopérant par les effets du rapport au père et de son déclin. L’oubli de l’obsessionnel s’introduit comme mécanisme substitutif.

 

Le réel insiste

 Le réel prend le mors aux dents, et notre actualité le démontre par son versant de la prédominance du Tout-économie qui n’est qu’économie du désir. Il n’y a pas de sciences sans économie. Économie du désir, le désir est son interprétation ; à cette condition de ne pas le considérer comme Wunsch, comme fantasme, le désir peut être comparé à un mode selon lequel je suis ce que je ne suis pas, et je ne suis pas ce que je suis. En référence au mot d’esprit du famillionnaire, je ne suis pas Hirsch Hyacinthe, le vendeur de loterie, mais Salomon Rothschild. Il y a tromperie, cette tromperie se révèle par moments grâce aux seules vertus du signifiant. Ce qui indique que le fantasme où se réalise le désir est sous-tendu par un désir de « jeter le masque (voir Freud Le mot d’esprit et sa relation à l’inconscient).

Le désir trouve sa satisfaction à être entendu, donc dans l’interprétation. Le désir est son interprétation, ce qui définit la cure psychanalytique comme une traversée du fantasme.

Fanatisme

Où est ce que nous en sommes de notre psychopathologie de la vie quotidienne ? Est-ce désir du réel ? Par « horreur », je visais le Réel. Le Rapport entre l’horreur des guerres et la mélancolie est celui d’un désir du Un. Y’a d’l’Un. Le fameux « Y’a d'l'Un » » fait pendant au « il n'y a pas » du rapport sexuel. Lacan le disait comme ça : « Il faut apprendre au sujet qu'il n'est pas Un mais refendu par le signifiant et divisé par l'objet », mais désormais nous sommes des ‘Unarités’. Le sujet n’est pas Un mais refendu par le signifiant et divisé par l’objet. Notre actualité est d’Unarités.

Le réel surgit par cette intention à l’annihilation de la refente du sujet et de sa division par l’objet. Les nouvelles technologies sont la représentation de cette intention dont le fondement est la haine de son inconscient chez chacun. S’il y a crise, il s’agit de la crise dans le langage.

L’expérience clinique montre en quoi le fanatisme est caractéristique de notre époque. Un voleur, un dealer, un criminel lambda ne se sentira pas proche d’un autre criminel agissant n’importe où dans le monde. Un des éléments significatifs du fanatisme est qu’un fanatique est habité par ce sentiment d’union avec un fanatique dans n’importe quelle zone géographique dans le monde. C’est l’envers d’une même pièce qui est la globalisation.

Il y a union sacrée par spiritualisme avec tout autre fanatique. C’est ce phénomène d’une Union sacrée pseudo-spirituelle qui donne le sentiment d’une Toute-puissance en se nouant d’un lien fraternel (« mon frère », « ma sœur ») dans une appartenance à une fratrie océanique. Cet élément est un des éléments indiquant l’existence d’un désordre psychologique et psychique.

Ce sentiment peut être assimilé au sentiment océanique, c’est-à-dire à la sensation de ne faire qu'un avec « Tout », ce qui donne la croyance en une sensation d’être éternel dans une union à un être éternel ; d’où le fanatisme (sa définition : lieu sacré que l’individu occupe en aspirant à une union avec l’esprit éternel habitant ce lieu).

L’invocation du texte sacré dans la logomachie fanatique est essentielle dans le parcours vers le fanatisme qui n’est que haine du texte et du symbolique.

Le Texte ânonné n’est que prétexte à l’idéalisation du crime, désespérément théorisée par une idée folle de la Rédemption. Là où le préjudice collectivisé était, le crime de masse advient. D’où l’apparition de l’individu habité par sa mission néo-messianique improvisée et multiple dont la mort, « Maître absolu », est le programme à article unique.

L’expression « pourquoi tant de haine !! » face aux actes terroristes individuels ou de masses est une indignation légitime face à l’horreur des passages à l’acte et révèle la naïveté humaniste ignorante du réel de la pulsion de mort. La haine est un affect passionnel destructif, elle prend tout sens en sa fonction de suivre la voie vers les pulsions de mort. C’est l’Union sur le chemin de la pulsion de mort.

La haine est un élément dans l’ambivalence du rapport au père, élément fondamental dans l’ancrage dans le fanatisme dominé par la nostalgie mélancolique du patriarcat.  Sortez le patriarcat par la porte, il revient par la fenêtre du fanatisme.

L’expérience psychanalytique montre ce manque d’humour symptomatique des fanatiques, absence d’humour qui permet d’atténuer l’angoisse suscitée par le désir à fleur de peau.

Le manque d’humour élimine l’ambivalence envers le père. Que tout est grave instaure un esprit de sérieux mortifère qui justifie l’exécution des basses œuvres ; l’axe de la jouissance passe de l’humour à la mort. Le fanatique est complètement habité par la grièveté de son monde.

Cette dimension interroge la clinique. L’accent mis sur le Père et le meurtre originaire dans l’anthropologie freudienne, cette anthropologie analytique, fait perdre le contact avec la réalité de notre actualité que cela soit celle de la pratique clinique ou celle de la collective, et ce dans la mesure où notre modernité instaure la passion du pire aux dépens du désir du père, primordial dans l’explication freudienne depuis Totem et tabou. L’antagonisme dans la relation à la figure paternelle se résout dans un rapport conjectural aux femmes.

Ce qui est à souligner dans notre actualité, c’est que le sujet se lie de plus en plus à la pulsion de mort, en temps de paix comme en temps de guerre, le champ de la guerre cristallisant la pulsion de mort. Le fanatisme avec les attentats-suicide entre autres se manifeste en tant que symptôme comme guerre de temps de paix, ce qui nous paraît « état limite », « caractère border line » dans notre modernité.

De ce fait, dans certains cas, on conclut très vite à des traits psychopathiques ; l’état limite est un signe du malaise dans notre modernité voire post-modernité. Ce qui le caractérise est cette aspiration au Un, à faire Un, Y’a d’l’Un et rien d’autre, ce que Lacan indiquait comme conséquence de « ça parle », l’inconscient parle, pas sans le langage (je souligne). Ça interroge la psychanalyse sur la question du lien social qui affecte l’ensemble du corps social.

La responsabilité du psychanalyste est donc de dire sur cette question du lien social ce que nous sommes les seuls à pouvoir dire : Quelle part y prend l’inconscient des parlants, avec ses effets ; dire un bout sur le réel alors que l’actualité est à la haine de son inconscient. Le désir-du-psychanalyste est désir plus fort que les passions, ce qui se cerne par l’enjeu qu’il promeut : l’objet de pulsion (sein, excrément, regard, voix) se détachant de l’imaginaire corporel, i(a), se situe dans l’ordre symbolique où il était dès l’origine pour y devenir alors cause du désir. L’objet a réfléchi dans le miroir, dans les prémices d’une fin de l’analyse, ne rend pas seulement, à l’étalon de l’échange, la monnaie (je souligne la question du paiement en psychanalyse), par où le désir de l’autre entre dans le circuit du transitivisme du moi idéal. L’objet a est restitué au champ de l’Autre en fonction d’exposant (°) du désir dans l’Autre.

Dans le moment que nous évoquons, l’individu est inscrit dans un sentiment de toute-puissance renforcé par la très grande force de suggestion à laquelle renvoient les textes des religions. C’est cette correspondance du sentiment océanique qui donne lieu à un sentiment d’éternité. ; c’est la construction paranoïaque du moi amplifiée par le retour sur le moi même du sujet comme effet de la production des nouvelles technologies. Vous trouverez ceci dans la Thèse de Lacan De la psychose paranoïaque dans ses rapports avec la personnalité.  

C’est réflexif. Le moi produit les nouvelles technologies, qui renforcent la construction paranoïaque du moi.

Le moi n’est que narcissique. Le moi n’est qu’imaginaire. Se fait une connaissance paranoïaque par l’effet du stade du miroir, c’est-à-dire par identification imaginaire.

Cette connaissance paranoïaque a trois traits.

  1. Poser devant l’objectif.

À partir du moment où c’est dans l’objectif, c’est bon ; par l’image de l’autre se fixe mon regard.

Dans la photographie, l’immobilisation du Temps se fait sur un mode excessif, monstrueux. Le Temps est saturé. La modernité de la photo associée à notre actualité la plus brûlante fait que la photographie est violente ; non parce qu’elle montre la violence mais parce qu’à chaque fois, dans cette photographie qui s’impose à la vue du sujet, se comble de force la vue, rien ne peut se refuser ni se transformer.

2. Deuxième trait, conséquence de notre actualité : toute la cause du désordre du monde, le sujet n’y est pour rien. L’objectivation est en effet objection à la responsabilité subjective. Le sujet s’exclut, se réduit à l’1-Dividu par cette négation qui est l’énonciation paranoïaque par excellence : « Ce n’est pas moi qui… mais lui ».

3. Troisième trait : de l’objectivation et de la négation de toute responsabilité résultent un effacement de l’image dans le miroir et une tension vers l’annihilation du sujet. Le choix s’impose de l’option d’attaquer le mauvais objet sur cette image de moi-même qui est l’autre. Il ne s’agit ni d’agressivité, ni de rivalité. Le sujet verse dans la haine. Se détruire en détruisant l’autre.

L’expérience psychanalytique nous montre que les nouvelles technologies amplifient et sont une représentation de la construction paranoïaque du Moi dans toute sa splendeur. Nouvelle jouissance en conséquence de nouvelles technologies. (Hamlet représente le moi moderne ; par rapport à Œdipe qui ne savait pas, Hamlet savait). Ce savoir est visé. Notre actualité est d’une époque inédite : en cela le moi moderne d’Hamlet est dépassé.

Tout penche ainsi vers un Moi post-moderne. En quoi est-ce post-moderne ? Une époque inédite dans l’histoire de l’humanité où le Moi du sujet s’annihile au profit du Tout-objet.

Le Tout-économie, c’est l’économie du désir qui tend vers l’objectalisation du moi. L’actualité clinique du sujet et de la géopolitique tendent vers le Un. Le corps d’être parlant ne subsiste que dans cette formation des images, c’est-à-dire tout entier imaginaire. C’est l’imaginaire corporel familier qui en raison de sa dépendance au stade du miroir et à l’image spéculaire donne des représentations dans un espace à plat à deux dimensions.

Le corps y est pour beaucoup par l’image du stade du miroir dans la production de l’imaginaire ; seulement il y a haine de l’imago. Il s’agit d’agir sur cette imago-même ; signe de l’échec du stade du miroir comme identification imaginaire nécessaire et fondement du narcissisme ; avec toute la dimension de ce qui cause cet échec. 

La crise dans le langage y est pour beaucoup. L’horreur résulte de cet échec de l’imaginaire. Je vous laisse imaginer les effets de cet échec : Qu’est-ce qui se passe pour le sujet si l'imaginaire est neutralisé et ne restent que le symbolique et le réel dans une continuité ? Les conséquences subjectives d’une continuité du réel et du symbolique sont que le corps n’y est plus. Imaginaire neutralisé et effacement de la métaphore. Le stade du miroir introduit un déchirement du sujet d’avec lui-même ; le passage à l’acte suicidaire supprime ce déchirement par une régression au corps morcelé, c’est l’objet de l’attentat suicide ; une jouissance absolue à se faire exploser en mille morceaux.

Notre actualité d’un discours édifiant sur la prévalence de l’être sur l’avoir alimente son grain de folie, son fanatisme et sa technocratie. La crise dans le langage réduit le symbolique à un moulin à paroles, à une communication comme pour une publicité à l’ordinaire ; le sujet s’oblitère, est en proie au réel. Le seul refuge possible est une union au Un, autrement dit la production d’1-Dividu, Untègre ; d’où le retour à la religion et à un sujet ni refendu par le signifiant ni divisé par l’objet. L’horreur résulte de ce qui tend vers cette production d’1-Dividu, Untègre, selon quoi nous sommes des Unarités. 

Dans notre actualité d’un deuil impossible et d’une mélancolie, c’est de l’objet a qu’il s’agit

Il en résulte une permanence du deuil, d’un deuil impossible, puisque l’1-dividu peut par effets des objets des nouvelles technologies, en particulier ceux de l’intelligence artificielle, se départir de l’objet. De cet objet (sein, excrément, regard, voix), dans sa « Remarque sur le rapport de Daniel Lagache : psychanalyse et structure de la personnalité », Lacan dit ainsi : « Objet partiel, il n’est pas seulement partie, ou pièce détachée, du dispositif imaginant ici le corps mais élément de la structure dès l’origine, et si l’on peut dire dans la donne de la partie qui se joue. Objet cause du désir. En tant que sélectionné dans les appendices comme indice du désir, il est déjà l’exposant (°) (il faut entendre exposant renvoyant à imaginarisation) d’une fonction, qui le sublime avant même qu’il l’exerce, celle de l’index levé vers une absence dont l’est-ce c’est-à-dire l’être, n’a rien à dire, sinon qu’elle est de là où ça parle ; c’est que ça cause ».

Dans le deuil, le sujet met une fin à l’objet perdu. Il n’y a pas de perte de l’objet. La perte initiale de l’objet est suturée. Ce vide dans l’Autre est comblé. Si le manque est fondateur du désir subjectif, dans la mélancolie la perte fait vaciller le désir.  Le mélancolique est persuadé que l’objet perdu est ce qu’il a désiré depuis toujours ; la mélancolie présentifie l’objet manquant, l’objet a, il comble le manque et neutralise sa fonction.

Dans la mélancolie, l’objet perdu n’a jamais fait défaut, le mélancolique est en possession de l’objet par la perte même, ce qui étouffe tout désir. Si le pervers a l’inconscient à fleur de peau, le mélancolique a le désir à fleur de peau.

La mélancolie est une maladie du désir qui gravite autour d’une hémorragie grave du narcissisme.  C’est l’amour dans son opposition au désir, mis en rapport avec la mort, ce que Lacan avait nommé la mourre (je souligne) ; c’est en cela que la mélancolie est un extrême de l’énamoration, le sujet s’abolit au profit de l’objet. L’ombre de l’objet tombe sur le Moi, le sujet n'est rien en comparaison d’un objet tout-puissant idéalisé et suscitant un amour passionnel. L’amour devient un impossible au fur et à mesure des échecs cumulés des tentatives de sublimation, ce qui laisse le mélancolique en proie à la pulsion de mort ; il en fait plusieurs fois le tour avant de retrouver la paix en s’abandonnant à la seule jouissance, au suicide, « laisser tomber » analogue à celui de « la jeune homosexuelle » ; le discours sans paroles au bout de quelques tours sur lui-même est en faillite, le suicide reste seul acte possible.

Aucune parole n’est possible : discours en faillite, sans paroles, c’est-à-dire dans l’impossible d’une adresse à l’Autre ; l’Autre n’est plus ; à ce moment, le mélancolique habite son désêtre, s’abandonne, se laisse choir pour ne faire qu’Un avec la mort. Le surmoi fanatique qui s’exalte dans le temps des guerres fonctionne comme référence doctrinale à un surmoi comme pure culture de mort, forme la plus violente et paranoïsée de la mélancolie.

Le mélancolique détient un savoir de ce que l’Objet se sait perdu : c’est pour cela qu’il faut l’éradiquer du monde où il brille de son absence. C’est au nom d’un certain Bien, au Nom d’un Souverain Bien que se commettent les actes les plus destructifs : en sorte que le fanatisme n’est pas seulement ce qui va, dans son intégrisme et son extrémisme, du mal au pis, mais du Bien fantasmé au pire réalisé.  

 

Julien Maucade, psychologue P. J. J. Ministère de la Justice, membre ALI, Paris