Claude Jamart : Construction et déconstruction de la famille

Ce texte constitue le compte rendu des Troisièmes Rencontres Internationales de Psychanalyse de Cotonou qui ont eu lieu du 14 au 16 février 2013. Fidèle en cela aux principes d’échanges qui président aux activités du Groupe de Cotonou il n’est pas seulement le point de vue singulier de son auteure. Il est le tissage, nécessairement hétérogène, du multiple des paroles échangées et dont le style en révèle le polyglottisme. Le point de vue singulier de chacune des présentations se trouve dans les textes repris dans Les Actes.

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La perspective d’une définition unique, universelle, voire structurale, de la famille se révèlera d’emblée caduque : « une famille cela ne va pas de soi », et on pourrait même dire que  « la famille, ça n’existe pas ». La famille est un lieu où se joue l'humanisation des nouveaux venus, un lieu où ils vont être pris dans le l désir. par le langage. Il y a donc une relativité de la notion même de famille et des formes de famille, dans un certain monomorphisme en Europe et un polymorphisme au Sud Bénin, ce qui n’est pas sans lien évidemment, avec les monothéismes et les polythéismes, les monolinguismes et les polylinguismes.

En fon, il n'y a pas de mot spécifique pour désigner la famille nucléaire ou la famille étendue. Deux mots cependant approchent le mot famille : « hennu » pour l’ethnie, le lignage et « ako » pour le clan. « Même si le monde s'écroule, il n'entraîne pas dans sa chute le hennu » dit un proverbe fon attestant ainsi de la force lignagère. Le mot « hennu » est le plus approchant de la notion de famille; il contient une profondeur généalogique, le grand-père et l'arrière-grand-père servant de référence à ces familles qui peuvent compter jusqu'à cent personnes. Le mot « ako » représente un cadre de rassemblement et d'identification familiale avec des dizaines de milliers de personnes. Ce qui rassemble c’est un ancêtre aux traits physiques non reconnus, mais qui est porteur d’une éthique.

Au Bénin, il y a un sens aigu de la famille, un devoir de la garder indivise et les valeurs culturelles qui lui sont liées sont l'obéissance, l'endurance et la justice. L'obéissance aux parents entraîne la bénédiction, la désobéissance le bannissement. L'autorité concerne le respect absolu des ancêtres et est exercée par le père, et même si elle est excessive, elle est considérée comme justifiée : c’est le père qui bannit. Les meurtres rituels sont décidés par le chef de famille comme par exemple pour les infanticides rituels en raison de diverses exigences culturelles, ou pour « les enfants sorciers » qui constituent un danger pour la continuité de la famille. Un membre rebelle peut être assassiné : il faut le faire disparaitre de la concession pour assurer l’intégrité de la famille. La mère bénit quotidiennement, le mot « merci » contient « atché »qui signifie bénédiction. Mais elle peut aussi maudire. Rares sont les enfants qui se laissent bannir par leurs parents. Des troubles psychopathologiques sont mis en lien avec la défamiliarisation par le bannissement : « tel manquement, tel comportement, telle attitude a amené telle maladie ».

Une lecture freudienne de « la tradition » rappelle qu’elle peut nous venir comme idéal ou comme injonction surmoïque; il est très difficile de les différencier et Freud n'a pas réglé cette question. Devant ce que les collègues béninois appellent « la tradition », le sujet semble complètement passif, il la reçoit, il n'a aucun mot à dire, sinon il est banni. Mais il est possible d’être actif dans la lecture que l'on fait de la tradition : un enfant, un adulte est responsable de sa lecture de la tradition.

 

Les structures de la famille se retrouvent évidemment dans l’organisation spatiale de l’habitat. Deux mots en rendent compte « Kwé » qui signifie maison, et « Ajatadoun » qui concerne l’habitat attaché à l’ « hennu ». La concession est organisée selon un principe de reconnaissance de la filiation : dans le fond de la concession se trouvent les membres de la famille les plus âgés, au milieu les moyens et près de la sortie, sur le devant, les plus jeunes. La famille comprend également les parents décédés et ils ont une case pour la mémoire des défunts, où se trouvent des représentations des ancêtres qui solidifient les liens de façon mystique. « Les vivants ne doivent jamais oublier les morts ». La famille inclut également ceux qui ne sont pas nés mais « portés en espérance », et il faut veiller à les intégrer dans la famille et à ce qu'il n'y ait pas d’extinction de ceux qui ne sont pas encore nés.


Est-ce l’union, le couple, ou l’enfant qui fait la famille ?

 

En Europe, la famille monoparentale est en augmentation constante : dans les consultations, en guise de famille, nous ne voyons plus que la maman et l'enfant. Il y a également une augmentation des familles recomposées et des couples homosexuels fondant famille par procréation médicalement assistée et adoption. Ces transformations de la structure familiale questionnent la pertinence d’utiliser encore la référence œdipienne comme grille de lecture alors que « l'on ne sait plus où sont les papas ».

Au Sud Bénin, la famille monoparentale est un phénomène récent et c’est d’abord la notion de « famille traditionnelle africaine » qui est questionnée dans son approximation, inscrite dans une perspective évolutionniste et susceptible d’être un frein à l’étude des structures familiales. Cette notion relèverait plus d’une fiction ne reposant plus ou pas sur une réalité historique et sociologique. De plus, les régions côtières ont été prises dans la fabrique du lieu, de la famille et du lignage en raison de la traite esclavagiste et une idéologie de la parenté recouvre toute position forte. Enfin, que voudrait dire aujourd’hui « famille traditionnelle africaine » en milieu urbain ?

Au Bénin,  « c’est la famille qui fait la famille », un mariage est d’abord un arrangement entre deux familles, ainsi qu’un processus qui les engage largement, bien plus qu'un contrat entre deux personnes. La visée d’un mariage est la pérennisation de la filiation, la pérennisation du nom de l'ancêtre fondateur de l'ethnie.

Pour le mariage, entrent donc en ligne de compte :

- la connaissance des parents,

- une enquête de moralité,

- une consultation du Fa qui est le système divinatoire,

- le paiement de la dot.

Le mariage civil et le paiement de la dot précèdent le mariage religieux. La dot repose sur le principe de « qui dote est le maître et qui est dotée se déplace »; un mariage sans dot est une humiliation, un déshonneur. Il y a plusieurs sortes de dot : une petite et une grande dot, ainsi qu’une dot secrète. La dot symbolique renvoie à la dette symbolique, pas forcément à une dette réelle. Il s’agit du respect à avoir vis à vis des parents de son épouse. Le symbolique vient établir un ordre social, un pacte de l'ordre de la parole. Dans le nouveau code de la famille, le mot dot n’apparait que cinq fois et toujours avec le mot « symbolique ».

Entre 2002 et 2006, un nouveau code civil de la famille a été élaboré au Bénin, très proche du code français tout en maintenant un rapport avec le droit coutumier : n’ont été rejetés que les aspects néfastes de la tradition et gardé que ce qui peut unir. La religion n'est pas prise en compte dans ce nouveau code de la famille.

Il existe différentes sortes d'union :

- l’union monogamique, qui depuis le nouveau code de la famille est la seule à être reconnue légalement;

- l’union « traditionnelle », c'est-à-dire l’union polygame soit avec co-résidence dans une seule concession, soit dans une pratique de résidences séparées où le père vient visiter femme et enfants;

- l’union polygame où l'homme n'est pas lié par le mariage et la femme est vouée à la fidélité, et qui rassemble toutes les femmes dans la concession : il s’agit d’un groupe de coépouses qui est aussi un groupe de travail et de solidarité pour le travail domestique et la production agricole;

- le phénomène du « Deuxième Bureau », voire du « Troisième Bureau »; cette « union » est basée sur des échanges sexuels et affectifs;

- l’union endogamique, comme par exemple celle d'une fille et de son cousin, et qui repose sur un arrangement domestique en vue d’agrandir la concession, par échange, permutation de deux jeunes filles;

- le lévirat, selon le principe qu’une veuve ne doit pas rester trop longtemps seule de peur que « le défunt plane» et que selon le phénomène dit du « mari de nuit », il ne revienne avoir des rapports sexuels avec elle. Le lévirat comme soupape de sécurité en quelque sorte, dans la visée de prévenir, pour les femmes, le développement de psychose hallucinatoire chronique.

 

A propos de la naissance

 

Au Bénin, la naissance, comme l’entrée dans l’adolescence, le mariage et les funérailles, font l’objet de nombreuses prescriptions rituelles qui rappellent qu’un enfant ne vient pas au monde tout nu, qu’il est d’emblée pris dans un tissu imaginaire et symbolique fait du maillage des représentations et des signifiants.

Différentes circonstances concernant le jour de naissance de l’enfant, comme un vendredi, le même jour que le parent du même sexe, le jour de la fête du vaudou, … sont référées à différentes attributions symboliques concernant son « être au monde et son devenir ».

Par exemple, dans la région Adja-Fon, le vendredi est le jour du chef; en fon, cela se dit : « hossou zambé » : « hossou » c’est l'autorité du chef, et « zambé » c’est le joug. Le vendredi est le jour des intronisations et « Jésus est mort un vendredi ». Un enfant né un vendredi, garçon ou fille, est appelé à être chef, prédestiné à diriger les autres, ne conçoit pas de rester sous l'autorité de quiconque, et s'oppose à tout ce qui ressemble à un ordre. Ainsi une naissance un vendredi est mise en relation avec des troubles oppositionnels.

On applique un rituel à ces enfants : « èzotchitchi »; « èzo » c’est le feu et « tchitchi » c’est éteindre .Ce rituel implique le sacrifice d’un coq ou d’une poule blanche sur le lieu de naissance. Un tissu blanc est planté à cet endroit et l'enfant est mis dans un tissu blanc. La couleur blanche, c’est tout à la fois la douceur, la netteté et la clarté. Ce rituel est effectué au lieu même de la naissance.

La naissance d’un enfant le même jour que le parent du même sexe constitue un mauvais présage, un présage de maladies, voire de mort. Une tante paternelle peut venir racheter symboliquement cet enfant qui devient un peu son enfant, mais la tante est libre de le laisser à ses parents. Trois cicatrices au coin des lèvres d’un enfant ou d’un adulte indiquent qu’il s’agit d’un enfant « né même jour » et racheté.


A propos de l’adoption

 

En fon « enfant adopté » se dit « vikanyo », « vi » c’est enfant, « kan » c’est retrancher quelque chose et « yo » c’est rassembler, ce qui n’est pas sans évoquer le principe de la famille indivise : « tout ce qui a été déchiré doit être rassemblé ».

Il existe dans la tradition, différentes formes d’adoption :

- l’adoption qui vise la protection de l'enfant qui se trouve dans un état de fragilité et dont le statut est clair, mère ou parents décédés par exemple; l’enfant ne peut pas sortir du groupe, il sera élevé par une tante ou un oncle et sera privilégié parce qu'il n'a plus ses parents;

- l'adoption qui concerne des familles sans progéniture, malades, ou qui n'ont que des filles. C'est alors l'enfant d'un proche, frère, cousin direct qui est adopté. Ici, il n’y a ni rupture de sang, ni rupture de nom, et donc pas de pathologie liée à la position; par exemple, une fille peut donner un ou deux de ses fils à ses parents, ou à ses frères et sœurs pour peupler la famille d’origine. Et des grands-parents peuvent décider de donner un fils de leur fille à un ménage qui n'en a pas. Ces garçons portent alors le nom maternel, mais peuvent participer aux coutumes de leur famille paternelle. Si une femme est veuve, ses enfants d'un deuxième ou troisième mariage porteront toujours le nom du premier mari et on appelle ces enfants « enfants de deux pères », en fon « towevi » c'est-à-dire « to » c’est père, « we » c’est « deux », « vi » c’est enfant;

- l’adoption d’un enfant quand la grossesse de la mère est contestée, fruit d'un viol ou d'une rencontre fortuite. Le grand-père maternel peut adopter cet enfant et lui donner son nom, mais il y a toujours recherche du père. La position de cet enfant est fragile; et si cette femme se marie, le grand-père devra garder l’enfant;

- l’adoption d’un enfant qu’on confie à un autre couple pour consolider des relations d'amitié, en raison d’une dette, ou pour qu'il bénéficie d’une éducation;

- l’adoption par les rois : des familles entières peuvent être adoptées et être « obligées » de s'installer, comme par exemple des familles de ferronniers utiles en cas de guerre. Le roi peut leur donner un cahier de charge comme s'occuper de telles divinités ou de tel vaudou. La famille fera l'effort de s'intégrer mais ils peuvent aussi demeurer des étrangers et souvent ils recherchent leur origine. Il y a également l’usage de la dot par les rois : beaucoup de féticheurs disent avoir été dotés par telle ou telle famille royale.

Au Bénin, il est dit qu’un enfant ne peut fleurir que dans la culture dont il est issu, et les collègues béninois s’interrogent sur les façons de limiter les effets sur les enfants d’être confrontés par l’adoption à une culture autre que celle de sa famille. Il est fréquent que les parents adoptifs béninois cachent l'adoption tout en reconnaissant qu’il est souhaitable que les enfants connaissent leur origine.

Toutes ces modalités d’adoption constituent en fait des modes de reconstruction de la famille au nom du principe de la famille indivise. Et sont des modalités de métaphorisation du nom, de la nomination, qui soulignent l’importance du père, non en tant que tel, mais en tant qu’il nomme, qu’il exerce une fonction nommante.

 

La famille comme lieu de fonctionnement pathogène…, et comme lieu de transmission de la culture, d’humanisation et de subjectivation

 

Nombre de cas cliniques témoignent de la famille comme lieu de violences physiques, psychologiques et sociales; l’enfant est victime dans l’intimité de la vie domestique : abus sexuel, violence, négligence, exploitation et cette maltraitance s’inscrit parfois dans une chaine transgénérationnelle. Ces exposés cliniques amèneront l’interrogation sur les différences culturelles de l’interdit de l’inceste, de qui incarne la loi symbolique si le père fait silence sur la loi. Il est rappelé le rôle de tiers que la justice peut exercer par rapport aux enfants en étant garante d’un interdit qui n’a pas été intériorisé.

 

Le constat portera également sur les modifications du statut même de l’enfant en Europe et en Afrique. En Europe, la majorité pénale ne cesse de diminuer, la catégorie « enfant » ne cesse de s’amenuiser, et au Bénin, même si l’enfant est l’enfant de la collectivité et que cela appose et impose l’appartenance, les rituels habituels de passage ne sont plus observés, entrainant en raison même de ces manquements une vulnérabilité de l’enfant. En Europe, l’adolescent est saturé d’informations et n’a pas les clés symboliques pour endiguer l’irruption du sexuel. Il est précipité à une place qu’il ne peut tenir et il n’est pas rare des voir se développer des moments phobiques, de l’angoisse et des épisodes de dépersonnalisation ainsi que des agirs dans des monstrations dont il ne comprend rien.

Mais la famille est aussi le lieu de transmission de la culture, d’humanisation et de subjectivation. Une culture en passe toujours par le langage, une culture ce sont des signifiants qui insistent dans une langue. Et une langue, c’est une instance qui met en place un nécessaire retranchement de jouissance, c’est ce qui permet de parler. Le petit d’homme n’a à faire qu’à des constructions langagières et n’existe pas sans autrui; c’est la dimension de l’Autre qui est primordiale. Et cette question : l’ancêtre est-il une figure du Autre qu’on reconnait mais qu’on ne connait pas ?

L’approche de Freud à ce sujet est simple : pour qu'un enfant se civilise, et rentre dans la société, il faut que quelque chose vienne décompléter sa toute puissance infantile et qu’advienne une forme de privation première de sa jouissance. Il est rappelé que la mère a toujours un travail de décomplétude à accomplir auprès de l’enfant en ne se présentant pas comme toute puissante, mais en témoignant de ce qu’elle aussi est manquante. Pour la mère, il doit y avoir la chute de l’illusion d’être toute, et pour l’enfant, il doit y avoir la chute de l’illusion qu’il est le tout de la mère. La perte, le manque, c'est ce qui permet d'aller voir si quelque chose existe encore quelque part, c'est-à-dire de désirer.

C’est habituellement la naissance d'un deuxième enfant qui aide mère et enfant à opérer cette décomplétude qui est rendue beaucoup plus difficile en cas de perte réelle, par exemple par la mort de l’enfant. Dans ce cas, la mère se trouve dans la situation de devoir acter que non seulement elle a perdu cet enfant, elle en a été séparée, mais elle doit aussi s'en séparer. Il y a ce temps logique de la mise en place de l'enfant en tant qu'objet, objet à perdre, objet déjà perdu et pour le perdre, il faudrait qu'elle l'ait eu. Il y a parfois une impossible perte, une impensable perte pour ces femmes qui ont eu un enfant mort.

La clinique nous apprend qu’il faut quotidiennement de la perte pour que l'on parle, qu’il faut que l’enfant soit confronté à un discours qui témoigne de la perte et ce indépendamment des systèmes de tradition, de croyances ancrées dans les mentalités. Mais aujourd’hui, l’enfant est confronté à un discours sans perte, l'énigme sexuelle est saturée, il n’y a plus ou pas de théories sexuelles infantiles, la jalousie et l’envie prédominent et soutiennent une causalité du malheur.

Il est rappelé que pour parler de cette nécessaire extraction de jouissance, Freud a été chercher un mythe grec, et dans « La Science des Rêves » il fait intervenir ce mythe sans égard pour la clinique, opérant ainsi un forçage en imposant l’œdipe. Ce forçage avec la théorie œdipienne enferme ainsi la famille dans une triangulation d'où va surgir inéluctablement la jalousie avec la centralité de la figure du Père. Il fait du père le centre de la totalité et définit la névrose comme la passion amoureuse, ou la haine, du père. Freud était très antireligieux, il a écrit « L'Avenir d'une Illusion » et c’est paradoxal de penser que dans le même temps, il a fait du dieu-père le centre de la totalité de la vie psychique.

Lacan, quant à lui, avait anticipé une mutation anthropologique en raison de l’évolution de la famille confrontée à la modernité : augmentation de la pauvreté, mauvaise gouvernance, égalité des sexes, dislocation de la famille... Quand il parle du déclin de la fonction paternelle, il parle du déclin des grands symboles qui tiennent symboliquement l'appareil psychique. Il interroge le type d’appui que nous pouvons dès lors avoir quand que ce n’est plus sur une grande métaphore qui fait lien que nous pouvons nous appuyer.

Au Bénin, la nécessaire aliénation au langage, aliénation dans le sens lacanien d’opération logique qui impose au sujet un choix comportant une perte, apparaît dans le rapport aux structures langagières que constituent les prescriptions et dispositifs rituels, et qui soutiennent un processus de socialisation permanent.

Il est rappelé l’importance fondamentale des rites dans la culture béninoise en ce qu’ils rattachent véritablement à la famille et qu’ils se rapportent au sacré. Il ne faut pas les considérer comme religieux, même si les religions s'en sont emparées. Le rite, c’est de la parole en acte et une mise en scène pour mettre cette parole en acte. Le rite n’est pas du coté de la signification mais bien de la signifiance et peut avoir dans la cure fonction d’interprétation dans le sens où Lacan la pointe : tout à la fois une citation en référence aux paroles du sujet et point d’énigme. Le rite n'est pas du côté du don mais plutôt du côté de l'entame qui permet de poser les catégories de l’interdit et de l’impossible.

 

Mais c’est dans l’usage des maximes, adages et proverbes que se manifeste la puissance du verbe au Bénin. C’est par le passage par ce patrimoine commun que dans la clinique on peut atteindre la singularité du sujet et ce n’est pas sans lien avec l’interprétation. C’est dans le multiple des différentes métaphores des proverbes, que se dégage la fonction symbolique du père, en particulier sa fonction de nomination. Les troubles de l’attention chez l’enfant, les états d’agitation témoignent de ce qui se produit quand les grandes fonctions de nomination ne viennent plus l'encadrer.

Mais il est plus difficile de repérer ce qui ferait séparation, principe séparateur pour le sujet, là où dans les intervalles du discours de l’Autre, il rencontre un manque qu’il peut formuler par cette interrogation  « Qu’est ce qu’il me dit, qu’est ce qu’il me veut » ?

Ce qui s’entend sous le terme de séparation participe plus d’une séparation réelle qui est repérée comme effet du manquement ou de la non observance des rituels. Ainsi la séparation physique d’avec le groupe familial met en jeu une perte des repères qui sont nécessaires pour être et rester socialisé.

 

Pourquoi la famille béninoise ne peut-elle faire l’économie de la sorcellerie ?

 

C’est par cette question forte que s’ouvriront les questions concernant le rapport complexe entre famille, religion, sorcellerie, et psychopathologie. Question assortie d’emblée d’un dicton : « la vie terrestre n’est qu’un marché de dupes pour les humains » rappelant ainsi que la vraie vie se trouve dans l’au-delà, c'est-à-dire dans l’ancestralité.

Rapport complexe, mais aussi rapport de force puisque seront évoquées les « bagarres » entre sorcellerie-magie-religion et médecine en raison du fait que les manifestations psychopathologiques, troubles, symptômes, conduites… sont d’abord référées à la sorcellerie. Par exemple, délires et hallucinations sont toujours repris dans des histoires de sorcellerie permettant ainsi d’en « parler sans problème ». Les premiers diagnostics posés dans la famille sont ceux d’une attaque sorcière : « il y a un sorcier dans la famille », et les méthodes thérapeutiques traditionnelles reposent sur des combats contre des agissements sorciers.

Sera soulignée la quasi universalité de la sorcellerie qui assure un lien social particulièrement fort et solide et qui questionnerait ainsi le statut même de la sorcellerie : discours au sens lacanien, c’est à dire organisant les places langagières, ou vision de monde ? Est ajoutée l’idée que l'inconscient à bien des égards, ça ressemble à de la sorcellerie... A propos de la religion, des religions et des nouvelles religions sera surtout souligné le rapport de force avec la culture, les dispositifs mis en place pour attirer des fidèles et combattre voir couper l’enracinement lignager.

De nombreuses questions sont soulevées :

- Quelle est la visée des églises évangéliques dont est noté le coté radical et totalitaire, qui diabolise la tradition, réévalue la lignée et refuse tout échange avec les morts ?

- A-t-on d’ailleurs à faire à des églises ou à des sectes ?

- S’agit-il de projets de sécularisation, d’individuation, de spiritualisation, ou de projets thérapeutiques ?

- Que signifie l’appétence des certains pour la glossolalie ?

- Il y a-t-il de nouveaux rituels ?

- Quel rapport le succès de ces nouvelles religions a-t-il avec l’actuelle dispersion spatiale de la famille ?

- Quels sont les effets subjectifs du syncrétisme, des clivages, des phénomènes de résistance… à l’égard de toute ces modifications ?

 

Au Bénin, la culture doit être considérée comme une enveloppe permettant de coder et décoder la psychopathologie. La maladie mentale est une vitrine de tout ce qui se passe. Une des représentations collectives de la maladie mentale inscrit sa causalité du côté du manquement au regard des rites. Il est noté qu’il y a augmentation des délires à thèmes religieux et que la dépression présente au premier plan des plaintes somatiques et des idées paranoïdes sans grandes idées de culpabilité.

En Europe, avec le déclin du Nom du Père, de ce qui fait tenir le psychisme, on assiste à l’augmentation de l’anorexie, de la boulimie, des addictions, des phobies, et à l’effacement de l’hystérie… et à une dérive scientiste, une écriture clinique qui fait passer des symptômes, des maladies de l’âme à la biologie des troubles. Par exemple, la pédopsychiatrie qui a été fondée, écrite par des psychanalystes, a aujourd'hui beaucoup de mal à résister à cette biologisation. Et cette question; qu’aurions-nous à dire aujourd'hui de ce que Freud nous a légué ?

 

Commentaires conclusifs… si tant est que cela soit possible…

 

Ces Troisièmes Rencontres de Cotonou ont été riches de confrontations, pour chacun, à l’altérité radicale de l’autre. La dialectique entre culture et structure reste toujours fortement présente, comme elle l’était déjà lors des Premières rencontres « Le symptôme en question » : les collègues européens insistaient sur la notion de structure, alors que les collègues béninois insistaient sur la notion de culture. La question de la culture vient également rappeler qu'il ne faut pas céder aux sirènes de la biologie, et que le biologique lui-même est traversé par le langage.

Si le proverbe peut constituer une tresse à trois fils : donner-rendre-redonner, et si la famille peut être regardée comme une structure à trois temps : construction-déconstruction-reconstruction, une lecture topologique de la famille pourrait-elle nous aider à mieux en saisir les enjeux ?

Claude Jamart

 

 

Programme

 

La maltraitance de l’enfant, Yvette le souffre douleur de la famille

Adeossi Bernice

(Gansou G.M., Fiossi Kpadonou E., Tognide M., Ezin Houngbe J., Agossou Th.) - CNHU-CNHP

 

Problématiques des familles recomposées dans l’aire culturelle ADJA-FON au Bénin

Ahyi Gérard

(Ahyi R.G., Djidonou A., Akpadji M.) - CERMA

 

Le code des personnes et de la famille du Bénin à l’épreuve de l’application

Alapini Gansou Reine

 

Fratrie : psychopathologie et traitement traditionnel préventif

Houinou Ebo Boris

(Gansou G. M., Fiossi Kpadonou E., Tognide M., Ezin Houngbe J., Agossou Th.) - CNHU-CNHP

 

Aspects psychopathologiques de la relation de filiation adoptive

Gansou Grégoire

CNHU-CNHP

 

Problèmes socio-sanitaires du couple béninois face à l’opposition parentale du choix autonome des conjoints

Hounyo Comlan Olivier

(Ahyi.R.G., Djidonou A., Akpassou S.) - CERMA

 

Inceste, la transmission empêchée

Jamart Claude

AFB-ALI

 

Construction, déconstruction, reconstruction de la famille : rôle des adages et proverbes au Bénin

Kpadonou Emilie

CNHU-CNHP

 

Mutations dans les valeurs et les pratiques au sein des familles en milieu urbain

Kpatchavi Adolphe

CNHU-CNHP

 

Du désir de fonder une famille

Joos-Marchal Anne

AFB-ALI

 


L’honneur de la famille

Marchal Pierre

AFB-ALI

 

Lien familial et conversion. Réflexions à partir de la nouvelle naissance pentecôtiste

Noret Joël

LAMC- ULB

 

Pourquoi la famille béninoise ne peut pas faire l'économie de la sorcellerie

Segla Comlan

(Département de Psychologie de la FLASH – Université d’Abomey-Calavi)

 

Rituel de naissance (Vidéton) : Etape d’insertion dans la famille

Singbo Dorothée

(Ezin Houngbe J., Gansou G. M., Abdoulaye N., Fiossi Kpadonou E., Tognide M.) - CNHU-CNHP

 

Dissociations (ou dislocations) familiales et leurs  conséquences psychopathologiques au Sud Bénin

Sossa D. Hervé

(Ahyi R.G., Djidonou A., Ahyi G. E. A., Hounyo C. O., Kouevi A. B., Adjovi A. C., Alingo B.) - CERMA

 

L'Adolescence n'est-elle qu'une crise ou une relance pour la subjectivité ?

Tyszler Corinne

ALI

 

Où en est-on avec l’Œdipe aujourd’hui ?

Tyszler Jean-Jacques

ALI

 

Jalousie quand tu nous tiens

Warot Anne-Sophie

ALI